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PHILO-ALETHEIA
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30 août 2012

BACHELARD : UNE RÊVERIE ACTIVE

Gaston Bachelard

 

Une rêverie active : l’arbre de la vie

 

           D’une façon générale Bachelard distingue la pensée par concepts (la science) de la pensée par images (l’art). Ce dualisme bachelardien entre la pensée par concepts et la pensée par l’image va se prolonger sur le plan de l’imaginaire par l’opposition que Bachelard établira entre la matière et la forme. Contre la philosophie traditionnelle la matière détiendra un rôle actif par rapport à la manifestation de l’image. En effet, l’image détiendra une certaine forme d’autonomie, elle ne sera plus la pâle copie d’une réalité existante. Pour accepter de se laisser « embarquer » dans l’entreprise bachelardienne, il nous faudra renoncer à utiliser ces stéréotypes de pensée, de vison nuisibles à l’essor de l’imagination matérielle, à savoir l’intellectualisation de l’image. En effet, «l’’image ne peut être étudiée que par l’image, c'est-à-dire en rêvant les images telles quelles, c’est de cette façon qu’elles s’assemblent dans la rêverie. », c’est de cette manière qu'elles bousculent et renversent nos sens.

              Dans la pensée par images, c’est une subjectivité qui se révèle à elle-même. Pour autant, celle-ci n’est pas de l’ordre du laisser aller, du laisser faire, car au contraire elle remonte à une forme d’originaire, à une source, à ce qui est présent en nous, que nous pressentons peut-être toujours d’ores et déjà comme étant là mais sans en avoir une conscience claire. Cela suggère l’apparition d’une nouvelle préhension du monde que nous offre l’imagination, Bachelard l’exprimera d’ailleurs somptueusement en écrivant de la sorte « L’imagination invente plus que des choses et des drames, elle invente de la vie nouvelle, elle invente de l’esprit nouveau ; elle ouvre des yeux qui ont des types nouveaux de vision » (L’eau et les rêves). Ceci sera d’autant plus remarquable, prégnant dans le domaine artistique et pictural: le peintre regarde ce qu’il ne voit pas.

             Dans cet acte de la création, puisque c’est de cela dont il s’agit, Bachelard envisagera une suprématie ou prééminence de l’imagination matérielle sur l’imagination formelle, une flexion obligée et nécessaire pour accomplir le processus. S’enquérir de cette force créatrice supposera la mise au clair des fondements de l’imagination créatrice (présente notamment au sein de l’écrit littéraire, poétique ou de la sculpture) et par là même de la vie imaginaire. Nous le verrons ensemble, pour désigner cette imagination active, Bachelard choisira le beau mot de rêverie, une rêverie spécifique, singulière qu’il nous faudra également explorer.

           Ici, c’est donc la nature de la pensée symbolique qui est interrogée, basée sur une sorte de« psychophysique »(référence aux quatre éléments que sont : l’eau, l’air, le feu, la terre). C’est une pensée qui fait retour aux sources, mieux à la source de notre être. Cette matière fondamentale dont il est fait explicitement mention dans » L’eau et les rêves » et « L’air et les songes » et qui sera ni plus ni moins que ce magma qui innerve l’arbre de la vie et vivifie sa sève.

               L’enjeu est donc considérable, puisque c’est la racine de notre être, c’est-à-dire ce qui fonde la dynamique de notre existence qui est interrogée. Pour ce faire, il nous faudra oser regarder vers ce que l’on pressent mais que l’on a probablement oublié, à savoir notre originaire….Mais contre toute attente, cette conversion du regard n’est pas un relent nostalgique, non, c’est une manière de se réapproprier ce que nous sommes, d’actualiser nos puissances actives, d’être ou de devenir enfin nous-mêmes.

 1. Une phénoménologie de l’image :

           Faut-il le reconnaître, classiquement le mot image est si fortement enraciné dans le sens d’une image qu’on voit, qu’on dessine, qu’on peint qu’il nous faudrait faire de longs efforts pour conquérir la réalité nouvelle que le mot image reçoit.  Et pourtant, "ce n’est pas la forme d’un arbre tordu qui fait image, mais bien la force de torsion, et cette force de torsion implique une matière dure, qui s’endurcit dans la torsion » (« La terre et les rêveries de la volonté ») .

 

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           La matière est ce qui soutient la forme, ce qui lui permet aussi d’apparaître, de se faire jour, de devenir visible..La hyle donne corps à la forme et magnifie l’image. La qualité de l’image relève, et cela est indéniable de la façon dont la matière est utilisée.  C’est donc bel et bien sur cette base empirique que repose la doctrine de l’imagination matérielle. «Outre les images de la forme, nous dira le poète de « l’eau et les rêves » si souvent évoquées par les psychologues de l’imagination, il y a des images de la matière, des images directes de la matière. « La vue les nomme, mais la main les connaît. Une joie dynamique les manie, les pétrit, les allège. Ces images de la matière, on les rêve substantiellement, intimement, en écartant les formes, les formes périssables, les vaines images, le devenir des surfaces. Elles ont un poids, elles sont un cœur. »

            Ces matières sont les éléments de l’Alchimie, le Feu, l’Eau, l’Air, la Terre. C’est ainsi que Bachelard les évoquera à plusieurs reprises, ces éléments comme fondement et déterminant de l’image et a fortiori de l’imagination constituent l’épicentre de NOTRE Imaginaire. Pour autant, cet élément ne doit pas être compris comme processus englobant de notre humanité imaginaire, mais il lui donne sa couleur fondamentale, sa tonalité et participe à ce titre au retentissement ontologique : à cette vibration ou traversée du vivre, à l’élan onirique.

 

 2. La rêverie matérielle

         Précisément l’étude bachelardienne nous convie à explorer deux pentes de la rêverie et par là même deux niveaux de conscience. Le premier, concerne une conscience qui diminue, une conscience qui s’endort, nonchalante, une conscience qui rêvasse mais qui n’est déjà plus une conscience. C’est la rêverie qui nous met sur la mauvaise pente, sur la pente qui descend. Dans cette rêverie, l’image proprement dite est un acte de la conscience qui vise un objet absent à travers une matière qui peut être un portrait ou une «image » au sens banal. C’est la conscience qui se laisse absorbée, fascinée, dépossédée, que l’on trouve également ou classiquement dans le rêve nocturne.

            Et puis, il y a la rêverie féconde, celle qui soulève, déterritorialise ou « démondanéise » : « la rêverie poétique, une rêverie que la poésie met sur la bonne pente, celle que peut suivre une conscience qui croît" .Cette rêverie dira Bachelard «  est une rêverie qui s’écrit. » Elle est celle qui nous permet de nous retrouver dans la solitude de notre être, se fait jour alors une conscience émerveillée.

         Mais que se passe t-il alors sur le plan psychologique ? Il semblerait qu’«une image se mette au centre de notre être imaginant. Elle nousretient, elle nous fixe. Elle nous infuse de l’être. La conscience est alors conquise par un seul objet du monde, un objet qui, à lui seul, représente le monde. » A la différence du rêve nocturne qui est dirons nous «sans sujet»

«L’être du rêveur de rêverie se constitue par les images qu’il suscite...l’image émerge dans la conscience comme un produit direct du cœur, de l’âme, de l’être de l’homme saisi dans son actualité. » (Poétique de l’Espace,) et cela se joue notamment dans l’écrit  poétique. Bachelard dira : une«poétique du langage écrit», est une poétique sans mimétique, probablement parce qu’elle réveille en nous ce qu’il y a de plus intime de plus personnel, de plus suggestif au sens où surgit par cet acte notre être le plus authentique. Mais « pour qu’une rêverie se poursuive avec assez de constance pour donner une œuvre écrite, pour qu’elle ne soit pas simplement la vacance d’une heure fugitive, il faut qu’elle trouve sa matière, il faut qu’un élément matériel lui donne sa propre substance, sa propre règle, sa poétique spécifique. »

 

3. L’image matérielle et la création 

         Pour illustrer cette dynamique de la matière que l’on trouve au fondement la différence entre l’imagination formelle et l’imagination matérielle, Bachelard prendra comme exemple ce qu’on aperçoit dans la flamme d’une bougie. Pour ce faire, la matière ne devra pas être prise comme analogon, c'est-à-dire comme un contenu physique qui ne se donne pas en propre, à titre de représentant d’un objet visé, auquel cas, il y aurait une intentionnalité. Dans ce cas précis, la flamme ne serait pas la flamme même, mais la flamme parcourue par les yeux.

           C’est dans cette même perspective que Bachelard commentera une formule du sculpteur Auguste Rodin rêvant devant son foyer : «toute chose n’est que la limite de la flamme à laquelle elle doit son existence. » L’imagination matérielle du feu intime formateur est d’emblée cosmique et dynamique. La rêverie sur la flamme, quand elle est matérielle, est créatrice de formes neuves, imprévisibles. C’est une rêverie ouverte à tous les possibles, une rêverie inspirante. Et c’est fort à propos que le sculpteur Rodin dira que poser la forme comme première marque l’arrêt d’un processus infini de l’acte créatif.

          Mieux encore, le sculpteur trouvera la forme par élimination de l’informe en modelant la matière. Il en est ainsi de la main qui pétrit comme de la flamme. On pétrit la pâte avant de la modeler. « La main aussi a ses rêves, elle a ses hypothèses. Elle aide à connaîtrela matière dans son intimité. Elle aide donc à la rêver …. Dans le pétrissage, il n’y a plus de géométrie, plus d’arête, plus de coupure, c’est un rêve continu. C’est un travail où l’on peut fermer les yeux. C’est donc une rêverie intime." Le sculpteur n’imite pas un modèle, car il va du dedans au dehors, il cherche sa limite. Le rêve de modelage est un rêvequi garde toutes ses possibilités. »

 

        Pour conclure, nous comprenons aisément que la matière, la hylé, la pâte, comprises et conçues comme éléments constitutifs de l’imagination matérielle, sous tendent et révèlent notre imaginaire. Ils nous renvoient à une forme de primitivité constitutive de notre être et nous ouvre également un grand champ des possibles, c’est à ce titre là que nous pouvons parler chez Bachelard de métaphysique de la pâte imaginaire qui donne lieu à une expérience de l’intime, libérée du contrôle de l’œil, cet inspecteur qui perçoit malgré lui, détermine les formes, tous les contours et bride tout accès véritable à l’être, c'est-à-dire à la connaissance de nous-mêmes. Il s’agit en réalité de pouvoir travailler, se travailler de l’intérieur comme ruisselle le courant de la vie. Peut-être traçons-nous là les lignes de forces qui tissent les fils de l’être, arriment ses pans et rendent l’âme pour le coup infiniment joyeuse !

 

MPC

 

Un grand Merci à Didier pour avoir accepté d'illustrer cette intervention avec l'une de ses superbes oeuvres photographiques ( Photo : Didier Karl)

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Commentaires
G
L'Aïon, évidemment, puisque aïon vient de "aei", toujours. Dans l'Aïon il y a l'idée d'une durée indéfinie, d'un toujours qui est à la fois du temps et du non-temps. Mettre l'imagination active en relation avec l'Aïon me semble une idée juste et féconde.
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D
L'adulte véritable est celui qui a compris qu'il ne le sera jamais. En ce sens, enfance , adolescence et adulte sont des catégories qui doivent être détruites pour que les divers temps de la vie psychique se retrouvent réconciliés et s'enrichissent mutuellement. Il est un temps de la psyché qui, enfoui sous les strates de la convention sociale (dont Chronos), déploie son intensité dans l'ailleurs poétique de la rêverie active : peut-être une des sources de l'Aion ?
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G
"ça" est déjà là, "ça" y sera toujours! Groddeck disait que l'individu a le choix entre l'enfantin et l'infantile. L'infantile est celui qui sous prétexte d'être un adulte étouffe en lui l'accès à l'enfantin, et en tombe malade, l'infantile manifestant en lui sa part d'enfance tronquée, qui persiste à se faire entendre, - sur le mode du symptome.
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B
Oui, l’enfant dont parle Bachelard est « fils du cosmos » et est toujours présent en nous. Pour Bachelard, demeure dans l’âme humaine un noyau d’enfance, une enfance immobile, mais toujours vivante, une enfance hors de l’histoire. « L’histoire de notre enfance n’est pas psychiquement datée. Les dates, on les remet après coup ; elles viennent d’autrui, d’ailleurs, d’un autre temps que le temps vécu. Les dates viennent du temps où précisément l’on raconte. » <br /> <br /> Le bonheur des poètes, poursuit- il naît de ce bonheur de rêver enfant, dans cette solitude cosmique où l’existence sans limites, lui donne accès à la rêverie cosmique. « En ses solitudes heureuses, l’enfant rêveur connaît la rêverie cosmique, celle qui nous unit au monde ».<br /> <br /> « La cosmicité de notre enfance demeure en nous. Elle réapparait en nos rêveries dans la solitude. Ce noyau d’enfance cosmique est alors en nous comme une fausse mémoire. Nos rêveries solitaires sont les activités d’une métamnésie. Il semble que nos rêveries vers les rêveries de notre enfance nous font connaître un être préalable à notre être, toute une perspective d’antécédence d’être »<br /> <br /> Bachelard : « La poétique de la rêverie »<br /> <br /> Il me semble très intéressant d’envisager cette perspective d’antécédence d’être, perspective d’ouverture, et de s’interroger sur ses sources, ses manifestations, ses effets….<br /> <br /> BC
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G
La nécessité intérieure, "natura naturans" dans l'homme, est la liberté elle-même, conçue non comme libre arbitre (illusoire) mais comme manifestation singulière d'une puissance qui a en elle-même sa condition et son mode d'expression propre. Toute autre conception de la liberté relève de la fantaisie ou de la chimère. En quoi l'écoute des voix intérieures est un mode d'accès extrêmement précieux à la créativité personnelle.
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