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PHILO-ALETHEIA
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13 août 2010

Du tragique

La question du tragique dépasse largement la problématique de la tragédie, mais il est bien évident qu'on ne saurait ignorer le rôle décisif joué par le phénomène culturel et artistique de la tragédie attique, au Vème siècle. Nous en parlerons rapidement. Mais il est bien clair, également, que l'esprit tragique est présent dans la culture grecque dès les poèmes homériques, essentiellemnt dans l'Iliade, et qu'elle trouve une expression remarquablement neuve et pénétrante dans les premières oeuvres philosophiques de la période archaïque, chez Héraclite en particulier. Par la suite le fond tragique sera plus ou moins occulté au profit d'une orientation plus optimiste (Socrate, Platon, Aristote), mais ne disparaît jamais complètement, effectuant une sorte de renaissance dans la période héllénistique. En fait on peut penser que toute la culture grecque est une lutte entre des forces violemment antagonistes, Dionysos et Apollon, esprit tragique et volonté du Beau. Mais en profondeur, les Grecs savent, depuis Homère, que la vie est tragique, et que la Vérité est chose terrible.

La référence grecque est inévitable à notre propos, mais n'épuise pas la question du tragique, qui est de tous les temps, et du nôtre. Mais ce fond de vérité est très généralement nié, refoulé, forclos par toutes les pensées optimistes, idéologies de toutes obédiences, religieuses et politiques. Nous aurons à coeur de rendre au tragique son tranchant, son indépassable actualité, sa beauté paradoxale, son coefficient d'insupportable, sa "volupté et son horreur" (Lucrèce).

Si la tragédie est un art littéraire, le tragique est l'expression de la vérité métaphysique, voire l'essence même de la vérité.

                                                                    I

La formule de l'optimisme pourrait être : "tout finit toujours par s'arranger". Les problèmes présents trouveront demain la meilleure solution possible, il suffit d'attendre et de faire ce qu'il faut. Le temps est galant homme. L'avenir est forcément meilleur que le présent puisqu'une intelligence souveraine guide le monde vers sa perfection. Optimisme religieux fondé sur la notion de Providence. Optimisme des progressismes : la société sans classe, la gouvernance mondiale, la république des esprits libres etc. Ces conceptions reposent très évidemment sur un principe invérifiable, qui exprime non le souci de la vérité mais la prégnance du désir. Primat du sens sur la vérité et déni du réel. Que le tragique soit aux antipodes de ces concoctions idéalistes est une évidence.

Plus difficile est de distinguer le tragique de la conception  pessimiste. Pour le pessimisme tout se dégrade inexorablement vers le pire possible. "Tout dégénère entre les mains de l'homme". Le temps travaille à l'envers, et à partir d'une source pure, la nature (Rousseau) ou Dieu, les choses descendent la pente de la dériliction vers la catastrophe finale. Le pessimiste trouve une sourde et obscure jouissance à contempler le déclin du monde et de l'histoire, anticipant comme libération définitive l'éparpillement de toutes choses dans le néant. Nihilisme du Non-sens, jubilation triste, ressentiment qui fondent une dénégation de toute positivité au nom d'un Absolu paradoxal et mortifère. Le pessimisme rejoint l'optimisme dans la conception commune d'un temps orienté, d'un Sens transcendant, d'une assomption finale, bien qu'inversée.

Le tragique n'est pas pessimiste, bien qu'il mette volontiers l'accent sur le négatif, la limite, le poids du destin, l'impossible et le caractère absurde de l'existence. Mais il refuse l'orientation du temps, l'idée selon laquelle une destination d'ensemble, faste ou néfaste, orienterait l'évolution du monde. Le tragique est le refus du Sens, considéré comme une expression délirante du désir, et une faute contre l'esprit de vérité. A la suite d'Héraclite il pose l'éternité des processus physiques, un univers sans début ni fin, où l'homme n'est qu'une émanation fugitive, un éclair dans le jeu gratuit des forces éternelles. "Rien ne s'arrange jamais", car la faille entre nos aspirations et le réel est impossible à combler. Tout en vivant dans le temps chronologique qui emporte toutes choses, l'homme découvre que rien ne change jamais quant au fond, quant à la structure, selon les lois de l'Aïon. Ni meilleure ni pire, la destinée est simplement ce qu'elle est, fondamentalement identique en toute société et tout moment du temps. Entre le rire et les pleurs le tragique contemple le matin et le soir, le jour et la nuit, convaincu de l'identité de toutes choses sous les espèces de l'éternité.

Il est important de remarquer que c'est le positionnement du temps qui sépare en profondeur le tragique des deux idéologies inversées de l'optimisme et du pessimisme.

A SUIVRE  (GK)

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