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PHILO-ALETHEIA
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11 mai 2012

REEL SENSIBLE, REEL IMPREVISIBLE

Pour Epicure la sensation est toujours vraie en tant qu'elle me donne directement le contact avec les objets : expérience de la réalité sensorielle. De loin la tour m'apparaît ronde, de près carrée. C'est qu'elle est ronde de loin et carrée de près. Etre c'est apparaître. Je ne puis rien savoir au delà, ou en deçà. Bien sûr je peux comparer les deux images, il n'en reste pas moins qu'elle m'apparaîtra toujours ronde de loin et carrée de près. Le jugement rectifie d'une certaine manière, en me permettant de comprendre que c'est la perspective, la distance qui déterminent l'image, la fait être de telle ou telle manière selon ma position dans l'espace, reste que cela ne modifie en rien la vision. Je vois le soleil se lever à l'est, se coucher à l'ouest, je peux savoir que c'est une perception déterminée par le mouvement des astres, mais je verrai toujours le soleil se lever à l'est et se coucher à l'ouest. Là où nous parlons d'illusion d'optique Epicure parle de sensation vraie, de contact réel. Comment faut-il ici entendre le réel?

Epicure ne parle pas du réel, il ne forme pas un concept général du réel qui s'oppserait par exemple à imaginaire, à illusoire, à irréel, à fantasmatique etc. Le réel n'est pas une catégorie en soi, qui se définirait par soi. Il n'existe de réelle que telle expérience sensible et concrète, tel toucher de corps, telle modification des récepteurs sensoriels, la peau, les narines, l'oeil, l'oreille etc. Pour lui est réel un rapport entre un objet, ou un simulacre (un "eidolon") et une surface d'enregistrement, rapport de corps, grossier ou subtil, donc un contact, de près ou à distance. Le toucher est un contact direct, l'audition, la vision, l'olfaction des contacts à distance. Il est impossible de connaître réellement un objet en dehors de ce contact, et se poser la question "qu'est ce cette chose en dehors de mon contact" est en toute rigueur une absurdité. Une telle question ouvrirait la voie aux spéculations les plus fumeuses, réintroduirait la mythologie ou la métaphysique idéaliste dont il faut précisément se débarrasser. Et si l'on fait chemin du sensible immédiat vers l'invisible, par exemple vers une théorie des atomes et du vide, il faut bien s'assurer que cette théorisation risquée ne vient pas contredire l'expérience sensible, mais lui assure en quelque sorte une confirmation supplémentaire. Rien n'empèche en effet de penser que les atomes se meuvent dans le vide puisque cette théorisation est la seule qui rende compte des mouvements dans la nature. Epicure construit une réprésentation générale de la nature qui dissipe les ténèbres de l'imaginaire. Dans un tel monde il n' y a jamais véritablement de surprise, la théorie est assez large pour absorber tout événement imprévu dans les catégories de la physique et de la physiologie. C'est pourquoi Epicure estime que cette étude est un préalable nécessaire à l'éthique  : discours long qui prépare le discours bref du tétrapharmacon : "il n'est pas possible, sans l'étude de la nature, de recevoir en retour les plaisirs sans mélange". (Maxime capitale : XII).

Ce dont Epicure ne traite pas - par décision expresse - c'est précisément du réel. Le réel est absorbé dans le savoir. Le sage connaît les lois générales de la nature, et de là il peut interpréter ce qui advient selon une perspective physique universelle, quitte à proposer plusieurs explications différentes d'un même phénomène, pourvu qu'elles restent en accord avec les principes fondamentaux, comme il fait pour les phénomènes météorologiques ou astrophysiques. Il ne réclame pas d'un savoir scientifique rigoureux, il ne cherche pas  la théorisation précise, il s'accomode d'un savoir relatif, pourvu que les prémisses physiques soient respectées. Mais c'est malgré tout une logique du savoir. C'est le savoir qui fonde la vie heureuse. Dès lors le réel, et son poinçon de sublime terreur, est désamorcé dans l'oeuf. Rien ne peut vraiment troubler celui qui sait.

Si le réel est écarté, la vérité l'est nécessairement. Rabattre la vérité sur l'évidence sensible c'est écorner le poinçon de la vérité. De fait Epicure déplace la question philosophique de la vérité vers la félicité. Est vraie la représentation qui assure raisonnablement et logiquement la paix de l'âme. Il agit plus en médecin qu'en philosophe. C'est là un choix tout à fait respectable. Après tout, qu'est ce qui importe le plus dans un univers privé de sens et de raison, sinon une vie sans trouble, si de toute manière il n'existe pas de jugement post-mortem, et que tout se joue dans l'ici et maintenant? Mais la vérité n'est pas totalement écartée, ou déniée, selon un subtil équilibrage des forces. Convenons que le bonheur selon Epicure n'est pas de tout repos, et qu'une sérieuse dose de vérité - l'Absence de sens et de valeur -conditionne cette étrange recette d'ataraxie. "Amère potion" dira Lucrèce. Disons que la philosophie d'Epicure est une singulière alliance entre l'esprit de vérité et la recherche du bonheur. Les religieux de tout poil ne s'y trompent pas qui condamnent l'épicurisme avec la dernière énergie.

J'admire Epicure, mais je ne suis pas sans réserve, notamment sur cette question de la vérité. Il me semble précisément que la vérité ne peut se réduire au savoir, que le savoir ne peut tout prévoir, même dans le cadre d'une physique élargie aux dimensions de l'univers. Pour nous, en fait,  les choses ne se passent pas ainsi. Je vois plutôt un combat incessant entre la représentation (dont le savoir serait le coeur) et le réel, qui la déborde de toutes parts, la bouscule, la renverse dans l'imprévisible. Est réel précisément ce que je n'attends pas, ce que j'ai oublié de prendre en compte, ce que j'ai écarté inconsciemment, ou dont je ne peux rien savoir, et qui soudain me saute au nez, déjouant tous mes plans et mes projets. Le réel c'est ce qui désespère le calcul des probabilités, et tout calcul, quel qu'il soit. Le réel c'est le renversant. C'est le pavé dans la marre, c'est le surgissement de l'improbable. Après coup on pourra toujours interpréter, trouver des causes ou des raisons, mais avouons que dans le vif nous étions sans ressources, de toute part débordés : aporétiques. C'est à cette aune-là que je mesure l'effet de réel.

On dira que les temps ordinaires du travail, de la prévisibilité sont bien réels aussi. J'en conviens, mais c'est un réel recouvert par le savoir, balisé comme réalité connue et gérable. On y oublie le caractère spécifique du réel, comme hasard et dés-ordre. Et puis, un jour, c'est la peste à Athènes, les laves sur Herculanum. Notre ordre n'est qu'apparent, notre savoir que prévention. Représentation.

La vérité selon cette logique serait l'accueil de l'événement pur. A déguster sans retenue...

 

GK 

 

 

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