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PHILO-ALETHEIA
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18 décembre 2012

Du SYMBOLIQUE et de la CREATION

L'asymbolie désigne l'état de ruine du registre symbolique, lorsque les mots non seulement nous manquent, dérapent et se délitent, - ce qui peut arriver à tout un chacun dans des expériences passagères de déréalisation - mais plus profondément que le symbolique dans son entier révèle sa caducité foncière, son inadéquation définitive et sans reste. Cela, c'est pour un psychiatre, la psychose. Le sujet serait englouti dans un réel sans médiation possible, sans issue, à moins qu'il ait construit de toute pièces un système délirant  auquel il adhère sans distance aucune, confondant les mots et les choses, prenant le mot pour la chose. A contrario on mesure la nature propre du langage : c'est la création d'un système de signes qui se substitue à la chose, la met à distance, la transforme en signifiants qui se rapportent à d'autres signifiants, dans un jeu ouvert de substitutions, de combinaisons, d'adjonctions, de soustractions virtuellement infinies. Chaque terme suppose tous les autres, "le trésor des signfiants", la langue dans sa totalité. Ainsi, par exemple, la fille est autre chose que le garçon, le mulet n'est pas un âne, ni un bardot, ni un zèbre ni un cheval. Pour juger d'un mot il faut en somme la totalité du dictionnaire, du moins en principe. C'est la raison pour laquelle Lévi-Strauss soutenait qiue le symbolique apparaît nécessairement d'un bloc, comme un système total qui va embrasser la totalité de la représentation pour un groupe linguistique donné. 

La langue nous constitue comme sujet de la parole, nous institue et nous détermine dans la place que nous occupons, dans nos fonctions, nos rôles, nos statuts selon un rapport différentiel avec les autres. Un élève est plus qu'un individu à l'école, c'est un apprenant qui est positionné par l'institution scolaire dans un rapport inégalitaire à l'enseignant quant au savoir, et à l'administration comme administré. Ces données sont antérieures à la scolarisation comme telle. Le sujet scolaire, quelles que soient par ailleurs ses qualités, positions et mérites, se voit positionné dans la structure, fixé dans ses statuts et ses rôles. La seule issue est la désertion, qui elle même détermine un nouveau statut. On n'échappe pas au symbolique, car alors même qu'on inventerait une autre position, pour les autres on sera déterminé par le statut commun. Je refuse le travail, je me mets à l'écart, et voilà que je deviens, bon an mal an, un chômeur, relevant malgré moi d'une autre détermination. Lévi-Strauss notait que le sujet a le choix, en dernière instance, entre l' aliénation sociale (symbolique) et l'aliénation psychiatrique. Il n'est pas sûr que la seconde soit préférable à la première.

Toutes  ces analyses sont fort pertinentes. Elles ont le mérite de montrer la puissance déterminante de l'ordre symbolique sur nos conduites, nos discours et même sur nos pensées. Chacun se flatte de disposer d'un libre-arbitre souverain, d'une capacité de choix inaliénable, mais ne mesure pas le poids colossal du conditionnement dont il est à la fois la victime et l'acteur. Toute réflexion sur la libération devrait commencer par là, en dépit de la répugnance que nous inspire spontanément la considération de ces faits.

La plupart se range, au prix de quelques symptômes plus ou moins invalidants, à l'ordre commun, acceptant de fait le processus de normativation sociale. D'autres, intentionnellement ou non, basculent dans le refus, et se voient exclus ou médicalisés. Existe-t-il une autre issue, qui ne soit ni aliénation ni psychiatrisation?

Il y a heureusement les artistes qui inventent de nouvelles possibilités de sentir, de parler, de représenter, inaugurant de nouvelles et fécondes symbolisations, qui, avec de la chance, renouvelleront notre perception du monde. Il y a les savants qui produisent de nouveaux paradigmes, mais leur retentissement public est des plus modeste. Et puis il y a les philosophes.

La philosophie se constitue originellement dans un écart critique avec les conventions et les valeurs en cours. Voyons Héraclite qui fustige les Ephésiens pour leur incurie politique : "Que la richesse, à vous, ne fasse pas défaut, Ephésiens, afin que vous soyez convaincus d'être des misérables"( fragment 37). Diogène le Kunique se flatte de créer de la '"fausse monnaie", plus vraie que la fausse monnaie des Athéniens. Nietzsche veut une transvaluation de toutes les valeurs. Pyrrhon balaie d'un revers de main toutes les opinions et croyances, dans une suspension salvatrice.

Le philosophe connaît la valeur toute relative des opinions, règles et valeurs. Il suspend la dictature du symbolique, ouvre un espace où passe le vent, se tient au plus près de l'originaire. Mais il veut dire, aussi, il veut communiquer : il lui faut une langue. Et c'est là que le philosophe se fait, contre son gré peut-être, poète : poiétès, celui qui  crée, fabrique, construit, élabore un nouveau langage, de  nouveaux concepts, avec le risque inhérent à toute conceptualisation, de retomber malgré soi dans la fixation, la réification. Et c'est ainsi que ce sublime effort de renouvellement, cette superbe envolée hors des murailles du monde, inmanquablment retombe dans de nouvelles ornières. C'est dire que pour lire vraiment un philosophe, pour entendre cette voix unique venue des profondeurs, il faut se laisser porter dans les abîmes indicibles de son intuition, coller autant qu'il est possible à la grande pensée dont il est le prophète, se laisser féconder et inspirer, avant que de juger. Et, sans l'imiter, y apprendre à voyager dans l'inconnu, à s'égarer, à errer, à toucher le fond et à remonter. Singulières aventures de l'esprit dont nous revenons, les yeux meurtris, mais avec une étrange et pénétrante lucidité.

GK

 

 

 

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Commentaires
D
Vous écrivez : « C'est dire que pour lire vraiment un philosophe, pour entendre cette voix unique venue des profondeurs, il faut se laisser porter dans les abîmes indicibles de son intuition, coller autant qu'il est possible à la grande pensée dont il est le prophète, se laisser féconder et inspirer, avant que de juger. » Je travaille en ce moment sur l'autoréférence : c'est amusant, lorsque l'on a son sujet en tête alors on applique ce sujet, que l'on voit, à ce que l'on regarde dehors. Ainsi ce que vous écrivez : je me dis que vous pourriez quand même l'appliquer à vous-même ! Soyez symboliques, tel est mon vœu 2013.
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D
En effet, j'avais posé la question : une création implique-t-elle nécessairement un trou dans la structure symbolique, c'est-à-dire une faille que le sujet investit sur le mode d'une expression singulière ou peut-on la concevoir -la création - comme une émanation de cette structure, une habilitation que l'institution langagière rend possible. L'enjeu est de taille car dans le premier cas, on conçoit l'insuffisance et le ratage propres à toute institution humaine mais permettant un enrichissement par ce que celle-ci ne recouvre précisément pas ; dans le second, le système symbolique est conçu comme porteur, comme moteur de sa propre expansion que l'individu accomplit apparemment sur un mode propre alors qu'il serait finalement conduit par le jeu de renvois indéfinis que la structure autorise.<br /> <br /> On n'est pas loin ici d'une sociologie de la création alors que dans la première hypothèse, la création serait libre métaphysiquement à la manière du clinamen de nos chers atomistes.
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G
il reste, chers amis, beaucoup à dire sur la fonction symbolique, pensée ici comme effort de symbolisation à partir de l' insuffisance relative de l'ordre symbolique et de l'expérience intérieure de la rupture : comment un acte de symbolisation nouveau et créatif est-il;possible? J'espère votre collaboration active (votre symbolisation personnelle) pour faire avancer la réflexion.
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PHILO-ALETHEIA
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