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PHILO-ALETHEIA
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14 juin 2012

HORS DE SOI : le Génie

De prime abord, nous pouvons observer la manifestation d’un élan, d’un influx singulier dans la vie d’un génie comme « un je ne sais quoi »qui le constitue et qui le dépasse en même temps. Etrange métabolisme que celui-ci : agité et agitateur sans distanciation et distinction possibles au cœur de ce déploiement de puissance. C’est aussi le sentiment d’être emporté, happé par un rythme infernal de la raison enfantine, indomptable, immédiate, par une « intuition de génie » battant en brèche toute forme d’arraisonnement. Son être est pris d’assaut, accaparé totalement jusqu’à parfois ou souvent atteindre un état de dé-raison. Le génie est un fou, un illuminé, un marginal, un être « à part », oui « à part » nous y voilà le mot est lâché.

« A part » des autres, le génie est en reste de lui-même parce qu’il se tient toujours en excès. Absence d’adéquation de soi avec soi, son être se tient toujours d’ores est déjà en devancement de lui-même,  D’aucuns peuvent l’admirer, l’envier, le jalouser et au final l’aimer ou le haïr (Dans Amadeus, Salieri est à ce sujet remarquable), ce fameux sur-homme capable de se mouvoir en eaux troubles avec autant d’agilité et de dextérité naturelle ou surnaturelle. Il semble communier avec le divin, lui qui côtoie la perfection absolue pour le commun des mortels.

Socrate l’affirmera clairement à Ion dans ce fameux dialogue de Platon « Il existe, en effet, chez toi une faculté de bien parler de Homère, qui n'est pas un art, au sens où je le disais à l'instant, mais une puissance divine qui te meut et qui ressemble à celle de la pierre nommée par Euripide Pierre Magnétique et par d'autres pierre d'Héraclée….Ainsi la Muse crée-t-elle des inspirés et, par l'intermédiaire de ces inspirés, une foule d'enthousiastes se rattachent à elle. Car tous les poètes épiques disent tous leurs beaux poèmes non en vertu d'un art, mais parce qu'ils sont inspirés et possédés, et il en est de même pour les bons poètes lyriques.

En apparence donc, le génie n’est pas un besogneux, la partition musicale que compose Mozart se rêve, résonne, tourbillonne dans sa tête et s’écrit comme du velours sur du vélin. Le génie est malin lorsqu’il n’est pas lui-même habité par le Malin génie, et tout se produit dans un éclair de génie, cela va de soi.

Mais sait-on réellement ce qui se passe dans un esprit prétendument  « génial » ? Peut-être est-ce effectuer une véritable plongée dans les voies souterraines de l’Hadès : et subir les affres de l’enfer que ces efforts nécessaires pour rassembler, maitriser en simultanéité ce flux gigantesque d’informations synaptiques ? En réalité, le travail du génie, facile, rapide, sans effort me semble être un mauvais conte digne des ressentimenteux.

Bagatelle que tout cela, l’étincelle divine est un leurre. N’est-ce pas plutôt notre propre incapacité à vivre nos journées de travail que nous transposons sur cette perception, notre propre désir à vouloir « être » nous aussi des génies pour s’éviter de la peine, du labeur ? Le génie s’inscrit probablement dans cette tension où nous tentons désespérément de placer le curseur, c’est à dire vers le pré-institutionnel, vers l’inné plutôt que l’acquis. L’amour et l’admiration nous rendent souvent aveugles quant à l’existence de notre propre cécité, c’est pourtant là un renvoi évident, un reflet indéniable de ce que nous sommes. Dans cette acception bien comprise, nous pourrions tous être des génies potentiels et douter pour le coup de l’existence réelle de cet être dit « à part »: le génie.

L’affaire n’est pas si simple.

Plus j’y réfléchis et plus la difficulté redouble de part en part quant à une définition possible, tenable du génie. En effet, le génie n’est pas celui qui est dispensé de travailler mais celui qui effectue les mêmes tâches différemment. Il s’agira donc pour nous d’explorer ce qui se joue au cœur de cet écart type - de cette différence loin des distinctions classiques entre l’inné et l’acquis. La définition kantienne du génie comme étant « la disposition innée de l'esprit par laquelle la nature donne les règles à l’art », est certes séduisante, mais ne me satisfait pas. Je veux me défaire de ce désir absolu d’expliquer, de ratiociner à tout prix. Contre les Lumières, je vous propose cette invite :  Ose te servir de ce que tu vois, de ce que tu vis, de ce que tu sens..

Au musée Rodin, j’ai senti «  ces étranges petites choses nouvelles » que Camille Claudel avait modelées, en onyx vert absinthe, «  ces petits riens accidentels, insignifiants » baptisés ainsi par Kierkegaard. C’était renversant ! Comment était-ce à ce point possible ? Ce n’était pas les « règles de l’art »  que je percevais dans son œuvre mais toute l’urgence que l’artiste avait exhalée, exprimée librement, et ce, à vous couper le souffle ! C’est hors de lui que le génie vibre et s’ex-pose dans le monde, par un acte et un geste inouïs, inédits, en dehors de toute forme innée ou acquise, au cœur de l’interstice, dans la brèche du temps,mieux : de sa brèche temporelle.

(MPC)

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