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PHILO-ALETHEIA
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3 septembre 2011

ALETHEIA : du MASQUE et de la DANSE

A-lèthès : vrai, sincère, franc, véridique, véritable. Dans cette acception le "A" est privatif : non caché, non voilé, non trompeur. Il semblerait bien que la notion originale d'Alètheia, comme l'a soupçonné Heidegger, soit d'essence privative : la vérité se pense et se dit comme une abstention, face à un premier mouvement de dissimulation. Voilà qui en dit long sur notre supposée tendance innée à la véracité. Mais dans le monde de la pensée grecque "alètheia" se dit dans un rapport de l'homme au dieu. Le dieu, comme la nature, "aime à se cacher". Apollon, dieu bifide et perfide, se joue de l"homme en lui proposant des oracles indéchiffrables par la voix éructante de la Pythie. "Il ne montre ni ne cache, il fait signe" (Héraclite). Mais ce signe est obscur, et terrible. A charge pour l'herméneute de transcrire cette parole folle dans un discours sensé, ce qui est d'emblée problématique. Si l'homme se trompe, la sanction du dieu - et du destin - est impitoyable. Nous avons la plus grande difficulté, aujourd'hui, à saisir ce que les Grecs ont pensé du rapport de l'homme au dieu, et donc de la vérité comme péril, menace, injonction polémique. Nous confondons vérité et savoir, et, rassurés sur l'ordre du monde, séduits par la représentation, nous manquons complètement la question de la vérité.

                  "Proche

                  Et difficile à saisir, le dieu" (Hölderlin)

Nous pensons la vérité comme adéquation de la pensée à la réalité, du discours à l'ordre des choses. Les Grecs nous enseignent exactement l'inverse, la vérité comme inadéquation originelle et insurmontable entre le savoir et l'événement. Car "seul le dieu est sage", dépositaire du vrai. Il se garde bien de le révéler à l'homme, tout au contraire il le sollicite, le provoque à l'erreur dans une parole énigmatique, le défie et le châtie. Apollon est le dieu à l'arc, autant qu' à la lyre. Il est le "tout-détruisant" selon sa définition la plus archaïque, tueur de loups, mais d'hommes aussi bien, comme le conte Homère dans le premier chant de l'Iliade. Alètheia est tout sauf une aimable représentation de l'existence, c'est d'abord l'effroi, la terreur, le sublime de terreur. Parmi les Modernes, hormis Hölderlin et Nietzsche, Rilke a été un des seuls à retrouver cette intuition originelle:

                    "Car le beau n'est autre

                    Que le commencement du terrible, que nous supportons à peine

                    Et que nous admirons parce, tranquille, il néglige

                    De nous détruire."

Le terrible est l'essence de la vérité, sa marque originelle, irréfutable. Et comme nous ne pouvons la supporter nous l'éloignons, la refoulons, mieux encore nous passons à côté, dans l'espoir de n'être pas atteints par sa charge explosive.

Le dieu aime à se cacher. Il porte le masque, masque de la tragédie, masque de l'animalité (Dionysos-taureau), de la féminité (Dionysos efféminé), de l'enfance(Dionysos jouvenceau) de la sauvagerie (Dionysos dieu oriental), de l'instinct débridé, de l'homophagie, de la musique, du thiase, et de la danse. Dionysos représenté avec la toupie, le jeu de dés, la poupée et le miroir. Dans ce miroir il mire la danse du monde, et ainsi, éternellement, se mire soi-même. Dionysos, dernier masque avant la totale dissolution de la représentation, dernier piège tendu à l'homme qui voudrait le saisir. En deçà - quoi? - Khaos, ou l'Apeiron.

Alètheia peut s'écrire aussi : alè-theia. Alè c'est la course errante, à l'image de ces Bacchantes enivrées et délirantes qui vont dansant et chantant par les vignes et les taillis, ensauvagées et folles, déchirant à pleines dents des brebis ou des enfançons, emportées dans la danse cosmique sous l'effet de l'enthousiasme dionysiaque. Alè-theia : course divine, danse divine, danse cosmique. Le monde, emporté dans le délire, hors raison et discours, hors-logos, révèle enfin sa nature véritable, alogos et ab-sens, dans une course cosmique sans origine ni fin, dans sa danse éternelle, sa totale gratuité, jeu de l'enfant-dieu, jeu terrible et sublime.

Ici, après la musique et la danse, ne reste que le silence des espaces infinis, qui terrorisait Pascal, et qui peut nous remplir d'une infinie gratitude.

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Commentaires
M
Il semble difficile de concevoir une atteinte possible de l’être, et ipso facto celle de la vérité.. « La vérité est dans l’abîme » disait Démocrite et d’un point de vue atomistique, il va sans dire que nous ne saisissons que ce qui arrive fortuitement .Autrement dit, nous ne pouvons rien savoir car d’emblée, l’être ou le réel (parlons nous de la même chose d’ailleurs ?) est inintelligible, insaisissable, il se soustrait au dire, au langage, à l’énonciation et à toute forme d’objectivation. <br /> Pour autant, l’aporie est-elle indépassable, et d’aucuns peut-être rajouteront narquois : pourquoi faudrait-il absolument la surmonter ? <br /> Soyez honnêtes que diable ! Que faites-vous de cet étrange va-et-vient qui vous traverse de part en part, à la fois convaincu de l’existence d’un vide gnoséologique et d’une certitude ontologique de la présence d’un « es gibt ». "Le rien existe aussi bien que le "quelque chose" (Démocrite)." Cheminement mystérieux voire même obscur vers ce qui fait signe, l’absence ou la présence font toujours sens vers un au-delà ou un en deçà d’une altérité, d’une autre fréquence, d’une di-fférance .Juste un peu pour voir, osez le nier, humain trop humain et résolument humain vous l’êtes assurément ! <br /> En effet, il y a ce que je sens, ce que je vis, ce qui m’émeut, me bouleverse et m’arrache volontiers à ma quotidienneté. De ce point de vue là, l’œuvre d’art m’apparaît comme une création purement « accidentelle » »contingente voire même « fortuite » comme se plairait à le dire peut-être le philosophe d’Abdère, car elle ne relève pas d’une visée téléologique ou de l’utilisation d’une simple technè. <br /> L’art achemine l’être, c’est un fait, c’est l’avènement de la vérité comme alétheia .En tant que tel, l’art et plus particulièrement les mots du poète participent à l’ouvert « du presque dicible » et du « nommer »de l’être. » Le vrai poète sait tout, a dit Novalis, c’est un univers en petit …la poésie est le héros de la philosophie ». <br /> Si j’osais, je voudrais juste vous suggérer ceci : la poésie est le héraut de la vérité, comme Ge-stell (installation), provocation et convocation de la présence de l’être-là, une présence somme toute éclatante !
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G
Il y a des enfants, des chiens, des arbres, du soleil, et mille autres choses de par le monde, terribles parfois, et sublimes, et quelconques. De quoi remplir une vie d'homme avec un coefficient insommable de stimulations diverses et imprévues. Et puis il y a aussi des articles, et parfois des commentaires, toujours les bien venus, quoique rares. De leur qualité dépend aussi la qualité et l'intérêt de ce blog, destiné à faire réfléchir et se réjouir. Alors, chers amis, à vos plumes...
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M
De fait cher ami, j’entends et comprends cette position somme toute « démocritéenne ». Je souhaiterais simplement me placer d’une façon plus générale sur le plan du pur« noein », c'est-à-dire sur celui du simple accueil des guises de l’être. Par ailleurs, ce noein, s’il ne fait pas voir « LA VERITE qui est dans l’abîme », ne pourra en l’occurrence jamais être faux. Il sera juste dans le pire des cas « non accueil » : (agnoein ) de l’être de l’étant : comme une absence qui ne vaut que sur un certain fond de présence et qui fait signe vers un "il y a"...
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G
Fort bien, si la poésie est cette faculté d'accueil, de cueillette sans intention de l'être-là des phénomènes dans leur surgissement. Vérité en effet, mais dans le sens purement phénoménal. Je m'obstine à penser la vérité plus profondément comme "abîme", hiatus indéchiffrable, vertige de la pensée. Mais les deux points de vue ne sont pas incompatibles. Au moins nous donnent-ils une perspective, et pratique, et contemplative, pour être au monde, et pour être un peu moins tricheurs.
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M
C’est effectivement dans son acception privative que Heidegger envisage « la notion originale d’Aletheia » comme étant le non-retiré, le « découvrir » qui se soustrait au caché, au retrait. <br /> Nous sommes loin de la vérité dite judicative à ceci prés, que celle-ci précisément n’est que le pendant d’une première strate d’ordre« gnoséologique » qui nous présenterait une guise de l’être : « ce qui a l’air de »(pseudo), un faux semblant qui dissimulerait la chose elle-même. Quel drame pour les logiciens ou les scientifiques, voilà des hommes dépourvus d’entente du discours originaire de l’être, un comble non ? L’homme de science évacuerait la vérité au lieu de se l’approprier. <br /> Précisément, nous voilà au cœur du problème, comment redéfinir ou déployer l’accès possible à cette vérité de l’étant reliée à ce concept inaugural du logos comme « faire voir, faire entendre » ? Selon Héraclite, les hommes ne parviennent pas d’emblée ou naturellement à écouter et à entendre le logos qui fait signe vers « l’être de l’étant ».C’est là où le bât blesse.<br /> De quoi s’agit-il ? « Etre vrai » veut dire être découvert, dévoilé, apparaissant et seul le logos apophantique vécu comme le déterminé du faire voir de l’origine perce le phénomène de la vérité. Fuyons de toutes forces le conformisme (attitude spontanée) et la conformité (adéquation de l’objet et de l’esprit), vivons le laisser être et l’ad-venue à soi du visible et de la chose telle qu’elle est en elle-même.<br /> Serait donc vrai, ce qui se vit sous le mode de l’aisthesis, de la sensation capable d’accueillir les manifestations ou guises de l’être comme le voir des couleurs, l’odeur délicate d’un mets, la sensation d’une brise sur une peau frissonnante. <br /> En cela, le dire (logos) du poète est un dire éminemment vrai, avec ce lien singulier de tendresse qui l’unit dans sa préhension de la prose du monde C’est poétiquement que l’homme habite et dévoile la puissance de l’être, l’art devient alors le lieu privilégié de la beauté de l’être comme éclosion de sa vérité.
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PHILO-ALETHEIA
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