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PHILO-ALETHEIA
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5 décembre 2010

PROUDHON, l'Irréductible 2ème partie

 

PROUDHON , l’Irréductible      ( 2ème partie)

 

 Le fondateur d’un  socialisme scientifique ...    àl’écart de tout système

 

On  est alors mieux à même d’apprécier  ce qui sépare Proudhon du socialisme scientifique de Marx et ce qui peut à l’occasion susciter l’intérêt chez des penseurs du libéralisme . Socialiste , PROUDHON s’en proclame et le proclame hautement , mais il prend bien soin de  définir cette position et sa définition ne souffre aucune ambiguïté . C’est Proudhon le premier et non Marx qui parle de socialisme scientifique ( 1840) et qui lui oppose dès 1846 l’expression de “socialisme utopique”. Je proteste contre la société actuelle et je cherche la Science. A ce double titre je suis socialiste” ( 1848). “ La souveraineté de la volonté cède devant la souveraineté de la raison , et finira par s’anéantir dans un socialisme scientifique”  . Mais son socialisme se veut être totalement hors des systèmes : “Le socialisme n’est point pour nous un système, c’est simplement une protestation” . “ De système, je n’en ai pas, j’en repousse formellement la supposition. Le système de l’humanité ne sera connu qu’à la fin de l’humanité.”

 

Ce combat pour l’affranchissement des ouvriers inclut les paysans  ( ce que ne font réellement ni Marx ni Lénine) sans  recourir  aux moyens proposés par les autres socialistes . Proudhon est très virulent vis à vis des socialistes utopiques ,  et de ceux  comme Louis Blanc qui veulent  un Etat- Providence . Proudhon veut émanciper le peuple sans s’appuyer sur l’Etat. , le socialisme doit être le contraire de l’Etat omnipotent , imposant d’en haut ses décisions après consultation de la base .  Et  loin de supprimer la propriété, il faut l’étendre à tous . Proudhon ne voue aucun culte au prolétariat : “ un  mal que je veux détruire , pas un dieu à qui j’offre mon encens” . II  manifeste clairement son  hostilité pour le communisme , système qui  rejette la concurrence et la propriété et soumet l’individu à la communauté , tout le contraire de ce que pense  Proudhon. Le communisme ne produira  qu’oppression et servitude . L’écart avec Marx est tôt consommé , il n’y aura jamais de réconciliation possible entre les deux hommes . 

 

Deux aspects essentiels pour sortir des idées toutes faites doivent ici être soulignés : ils ont trait l’un à la conception de l’Etat , l’autre à  la conception de la propriété. Le paradoxe surgit  d’avec la représentation que l’on se fait habituellement de l’anarchie et de l’anarchisme;  il faut en dissiper les malentendus . Ce qui résout le paradoxe , c’est l’idée - clé de toutes les formes que l’on retrouve dans l’anarchisme , c’est-à-dire , la Liberté .

 

  l’Etat , la Propriété , la Liberté

 

Que faire de l’Etat ?  “Quiconque met la main sur moi pour me gouverner est un usurpateur et un tyran . Je le déclare mon ennemi”.  Tout gouvernement est fondé  sur la croyance que l’ origine de la société est extérieure aux hommes , et cela  a  constamment abouti à la soumission aux pouvoirs . Or l’Etat est parasitaire : la raison d’Etat  finit toujours par se détacher  des intérêts de la société ; par définition l’Etat  est  ennemi de la liberté et du pluralisme . Et comble de l’oppression, il  garantit  et favorise  l’exploitation capitaliste  . Il faut donc nécessairement le détruire dans sa forme classique . Mais cela  signifie-t-il pour autant pas que l’Etat  doive disparaître? . Comment conserver l’Etat sans retomber dans les logiques de l’exploitation et de l’aliénation ? 

 

Et  que faire de la propriété ?  En fait  le problème  est d’une grande complexité ... Comment concilier la dénonciation de la propriété considérée comme facteur d’inégalité et la  défense de la propriété comme facteur de liberté ? Proudhon hésite . Ce qu’il refuse , ce n’est pas tant la propriété elle-même que sa  fonction de protection de la répartition de richesses usurpées.  Les prolétaires sont volés : leur journée de travail est payée  comme si le travail d’un groupe  étatit équivalent à celui de la somme des individus . Or chaque travail nécessite une force collective énorme ; ce que peuvent faire deux cents travailleurs en une journée  , un travailleur seul ne peut le faire en deux cents journées  .  Ce que le patron s’approprie  alors , c’est la “ valeur-ajoutée” de ce travail collectif ,  qu’il ne paye jamais , c’est donc un vol . Cette théorie formulée dans  “ Qu’est-ce que la propriété ?” devance chronologiquememnt la théorie de la plus- value de Marx . Accumulée dans les mains d’une oligarchie, la propriété est source d’une domination démesurée , abus de pouvoir , et renforcement de l’exploitation économique. La propriété est alors “ la somme des abus” (que)” les inégalités de la nature et la fortune , le capital et l’indigence, la civilisation et la barbarie , ont accumulées entre les hommes”. Donc avant Marx Proudhon critique “ ce droit d’aubaine” des  propriétaires capitalistes qui leur donne le droit de s’enrichir sans travailler et de déposséder les ouvriers de la valeur produite par leur travail . Le salaire versé pour la journée de travail ne tient pas compte de la valeur collective de leur travail : pour Proudhon , les propriétaires de la plus-value collective devraient être les ouvriers ; les capitalistes privatisent un bien collectif , et c’est cela le vol . Finalement ce n’est pas toute la propriété qui est rejetée  par le penseur ,.car pour Proudhon la propriété issue du travail est justifiée.   Ce qu’il veut , c’est “ la propriété moins l’usure” . Il aboutit à considérer que la propriété a une valeur politique nécessaire : “ la plus grande force révolutionnaire qui existe et qui se puisse opposer au pouvoir” . Seule la propriété permet à l’individu de s’opposer à la domination du collectif qui le prive de sa liberté propre . 

 

L’an-archie de Proudhon est donc profondément originale , ne supprimant ni la propriété , ni l’Etat , mais les transformant dans leur nature et dans leurs manifestations pour les mettre tous deux au service de la Liberté . “ La puissance de l’Etat est une puissance de concentration. La propriété au rebours est une puissance de décentralisation.” La tension qui naît de ces deux forces a toujours trouvé sa solution dans la propriété usurpée et dans l’autorité d’un Etat fort .Tout le travail de Proudhon consiste alors à trouver le point d’équilibre entre les deux pour rendre l’homme libre . 

 

 

L’individu et la société , la science et la sociologie 

 

Ce travail passe par une analyse rigoureuse de la société et du fonctionnement des rapports sociaux , mais cette analyse ne peut se mener que dans le cadre d’une activité scientifique précise , exactement comme la science étudie et analyse les lois et les caractères physiques du monde réel. 

 

“ il y a une science des quantités qui force l’assentiment, exclut l’arbitraire, repousse toute utopie; une science des phénomènes physiques qui ne repose que sur l’observation des faits . Il doit exister aussi une science de la société , absolue, rigoureuse, basée sur la nature de l’homme et de ses facultés, et sur leurs rapports, science qu’il ne faut pas inventer mais découvrir.” 

“ Le champ d’observation de la science économique, c’est la société, c’est à dire encore le moi. Voulez -vous connaître l’homme, étudiez la société; voulez-vous connaître la société, étudiez l’homme. L’homme et la société se servent réciproquement de sujet et d’objet. “

 

“Je proteste contre la société actuelle et je cherche la Science. A ce double titre je suis socialiste”. “ La liberté est anarchie parce qu’elle n’admet pas le gouvernement de la volonté , mais seulement l’autorité de la loi ... la substitution de la loi scientifique à la volonté ... est , après la propriété, l’élément le plus puissant de l’histoire”

 

La même logique transforme le socialisme critique en socialisme scientifique et celui-ci ne peut être qu’un socialisme libéral. Il s’agit à la fois d’en finir avec l’arbitraire capitaliste et avec l’arbitraire étatique : pour les éliminer il faut à la fois une libération sociale et une libération individuelle . Sur le plan politique il faut donc agir sur deux plans : rendre libre l’individu et rendre libre la société .Rendre libre l’individu , c’est le reconnaître différent dans sa personne et semblable à tous par son être social. Rendre libre la société , c’est reconnaître qu’elle est un être collectif  différent des individus qui la composent, mais aussi semblable aux individus , condition même de sa propre existence ...

Les deux aspects sont  indissociables , et Proudhon le dit bien : “ L’individualisme est le fait primordial de l’humanité” , “ hors la société , l’homme n’est qu’une matière exploitable” .  “ Se distinguer pour être , s’unir pour être plus” . Le couple individu-société , comme le couple biologique doit donc être équilibré dynamiquement,  mais  il est nécessaire de protéger ce couple individu-société de l’emprise destructrice de ce que Proudhon appelle l’impérialisme et le totalitarisme , qui sont pour lui des “ frères ennemis”.

L’impérialisme nie la société pour exalter l’individu . Le totalitarisme nie les individus pour exalter la totalité sociale ; il s’agit donc d’en finir avec l’instrument de leur pouvoir ,  cet appareil social appelé l’Etat : au lieu de servir l’individu et la société dont il émane , l’Etat est au service de l’oppression , il est devenu étatisme .

 

Le PLURALISME , clef de voûte de la pensée proudhonienne

 

Par conséquent , la philosophie politique de Proudhon est fondée sur le pluralisme

“ Le monde moral  (socio-personnel) et le monde physique reposent sur une pluralité d’éléments; et c’est de la contradiction de ces éléments que résulte la vie, le mouvement de l’univers” . C’est aussi la possibilité pour l’homme comme pour la société d’être libres. L’équilibre est nécessaire : il ne s’agit pas que société et individu se fondent en une entité dans laquelle les deux disparaîtraient. Il faut différer pour dialoguer . Il faut rendre autonome pour solidariser . Proudhon invente le socialisme individualiste avec pour moteurs le personnalisme social, le libéralisme associatif et le pluralisme organisateur . Le pluralisme est la clé de l’ensemble , c’est pourquoi Proudhon formule une quadruple condamnation du capitalisme  et du communisme , du dogmatisme et de l’idéalisme . Tout monopole , toute confiscation de pouvoirs politiques , économiques , philosophiques ... sont totalement condamnés dans cette quadruple dénonciation.La propriété capitaliste  n’ est qu’ atomisme individualiste créateur de plus-value usurpée. Le communisme n’est que dictature étatique et totalitarisme  assis sur  la théorie inverse de la plus-value étatique . Les deux autres  critiques portent sur le dogmatisme et  sur l’idéalisme qui posent en principe dominant un seul des éléments de la réalité pluraliste. Ainsi sont condamnés tous les systèmes étatiques de droite et de gauche et toutes les bureaucraties corollaires de ces systèmes qui mettent en péril le pluralisme , c’est-à-dire l’équilibre vital pour le devenir  du couple individu-société .

 

( à suivre)  JBD

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Commentaires
J
Proudhon parle de " pluralité " , mais peut-être y a-t-il dans son œuvre ( immense) l'emploi du terme " pluralisme". Je ne pense pas que dans son esprit le terme renvoie à un système précis et organisé, systématique, comme dans toute idéologie portée par la transcendance de la lutte des classes ou " la main invisible" , qui ne sont guère que des variantes ou des avatars du christianisme , et / ou peut-être de la pensée platonicienne . De toute façon, comme tu le dis, tout pluralisme défait l'illusion d'un tout englobant. La tension existe entre la société et l'individu, et Proudhon en recherche l'équilibre . Pour ce qui est du " piège de toute pensée politique" en effet les " ismes " sont des pièges pervers , je dirais mortels, car l'esprit de système y est à l'œuvre. L'homme ne peut pas s'empêcher - c'est là sa pente naturelle- de réduire le réel à la simplification. Or quoi de plus simplificateur qu'un système , fut-il le plus complexe dans ses modalités et dans ses procédures ? Ordonner , classer, hiérarchiser, organiser , est dans l'ordre des choses . Disons que cela procure un certain ordre , un cadrage dans un certain confort paresseux , fournissant de surcroît l'illusion de l'efficacité ( efficience) et répondant à un désir de maîtrise parfaite du réel , dans un certain code , sous un certain pli. En ce sens , toute organisation systématique ( systématisée) est totalitaire. Or , l'arborescence du réel est infinie . Le réel ne se laisse pas réduire , ou résumer , ou enfermer dans des catégories . C'est semble-t-il ce que Proudhon suggérait ., mais il inféodait l'idée de la politique à l'économie
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D
La notion de pluralisme évoquée ici se trouve-t-elle chez Proudhon ou est-elle de l'ordre d'un commentaire (éclairé) ? Il y aurait une étrangeté à lutter contre les "isme" en les réinjectant. Mais en même temps, le pluralisme défait le caractère unilatéral d'une seul "isme".<br /> C'est peut-être là le piège de toute pensée politique : la dictature de l'idée et des "ismes" qui l'accompagnent.<br /> La véritable politique (immanence) n'est-elle pas sans idée ?
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D
Ce qui me frappe en relisant ton texte, c'est le refus, propre d'ailleurs aux penseurs anarchistes, de la transcendance et de l'idéalisme : refus de l'Etat hypostasié en volonté générale (rousseau), refus de tout totalitarisme et refus de tout capitalisme sauvage. Les "ismes" comme foyers d'idéologie s'annulent dans une immanence qui autorise des formules oxymoriques du type "socialisme individualiste" ou "socialisme libéral". Tout provient en effet de cette tension entre individu et société. La tension est liée à une réification de ces deux réalités, devenues valeurs dans la représentation (soit individualisme soit socialisme). La posture immanente suggérée par Proudhon, si j'ai bien compris, ramène ces deux réalités à un champ de forces non pas antagonistes mais complémentaires. On fait plus à plusieurs que seul et mieux. Donc l'individu peut déployer sa puissance dans le champ collectif sans s'y aliéner et le groupe renforce ce déploiement. L'union fait la force, mais jamais, le société ne devient, en elle-même une valeur qui surpasse l'individu ; de même jamais l'individu ne peut s'emparer de la force des autres puisque son énergie a besoin des autres pour élaborer une matière de manière plus efficace.<br /> Le présupposé est donc bien celui de la sociabilité naturelle. La société n'occupe pas de position "tierce" ; elle est le lieu (topos)immanent de l'échange librement consenti et de la coopération.<br /> Avec Proudhon, la contradiction reste dans les idées mais elle n'est pas dans les choses. Reste à savoir si les hommes peuvent vivre au plus près des choses sans avoir recours à la catastrophe, au catastroph-isme autrement, dit à la contradiction ?
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A
C'est excellent d'abord nommé Proudhon l' "irréductible" en cette époque de rétrécissemnt unilatéral où la pensée même souffre de contrition et de contraction <br /> thoracique! Il est si commode de se débarrasser des pensées complexes sous le fallacieux prétexte qu'elles sont exigeantes et non immédiatement susceptibles d'application concrète. Proudhon donne à penser! A nous de réfléchir à des suites possibles.
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PHILO-ALETHEIA
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