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3 décembre 2010

PROUDHON, l'Irréductible 1ère partie

PROUDHON , l’Irréductible    (1ère partie)

Un peu comme pour Machiavel à qui l’on prête bien à tort la paternité du machiavélisme (  un machiavélisme mal compris ) , la même méprise éclaire d’un jour douteux la personnalité et la pensée de PROUDHON . Trop souvent en effet on ne le connaît que par le titre fameux de son ouvrage : “ Qu’est-ce-que la propriété ?” et par la réponse qu’il donne à cette question dans les premières pages de ce même ouvrage : “ la propriété, c’est le vol”

Résumer la pensée de PROUDHON dans cette seule affirmation certes  efficace mais terriblement réductrice n’aide en rien à l’éclairage et à la compréhension d’une œuvre autrement plus riche que ce que ces formules laissent entendre . Par un étrange paradoxe -  mais on verra que le paradoxe n’est évidemment qu’apparent -  des courants ou des mouvements politiques très divers se réclament de la pensée de PROUDHON, ou revendiquent tout ou partie de son héritage . Il est arrivé  en effet qu’en des époques différentes , autant la Droite que la Gauche , l’extrême-droite que l’extrême -gauche aient pu se réclamer de cette pensée . Si PROUDHON est bien le père de l’anarchisme , quoi de plus naturel que des courants d’extrême-gauche s’en réclament ? Mais comment alors comprendre la sympathie des autres mouvements politiques ,  et particulièrement ceux de  la Droite ?

Qui était donc ce Pierre-Joseph PROUDHON défiant les ordres établis de son époque , jouissant d’une réputation extrêmement étendue  de son vivant -même, dans une Europe gagnée par l’ industrialisation croissante ? Contemporain de Karl MARX , choisissant d’autres chemins que le philosophe allemand , PROUDHON est un penseur fécond et prolixe , son œuvre couvre plusieurs milliers de pages empruntant des modes d’expression variés . Mais son activité n’est pas seulement intellectuelle , il plonge dans l’action politique , est élu député , fonde une banque , connaît la prison pour ses activités jugées subversives ...

Car PROUDHON représente bien pour le pouvoir en place un danger certain . Ses idées menacent l’édifice social, économique et politique à un moment ou montent  aussi de toutes parts des socialismes remettant en question l’ordre capitaliste et bourgeois. En quoi l ’apport de Proudhon à la pensée politique est - il foncièrement original ? en quoi sa pensée est-elle novatrice et  occupe-t-elle une place exceptionnelle , place qui pourrait bien faire  de son auteur un fécond précurseur pour le XXI ème siècle ?

Naître, vivre et mourir dans un siècle bourgeois

Né  dans un milieu humble , Pierre-Joseph PROUDHON  , fils d’un garçon brasseur et d’une mère cuisinière, est placé A 10 ans comme bouvier dans la campagne proche de Besançon . A l’inverse de la plupart des socialistes du XIXème siècle ( Saint-Simon, Marx , Lénine , Jaurès ...) ses origines sont authentiquement plébéiennes . Il est admis comme boursier au collège royal de Besançon , mais  obligé pour des raisons financières d’interrompre de brillantes études alors qu’il est en classe de rhétorique. On le retrouve ensuite exerçant plusieurs métiers , successivement typographe, commis- batelier, journaliste,( ce qui n’est pas sans analogie avec les débuts de Balzac ). Il travaille ensuite comme fondé de pouvoir dans une entreprise de navigation fluviale lyonnaise , occasion mise à profit pour découvrir et  analyser les mécanismes du fonctionnement de l’entreprise et de la  bureaucratie.   

A la fin des années 1830, il complète sa formation à Paris au Conservatoire des Arts et métiers et au Collège de France. Son premier ouvrage : “ Qu’est-ce que la propriété ? ”,  est un énorme scandale lorsqu’il paraît en 1840 ,  ce qui lui vaut un procès aux Assises du Doubs . En 1846-47 , un autre ouvrage : “  La Philosophie de la misère” provoque la brouille avec Karl Marx , qui lui répond par “ Misère de la Philosophie”. Lorsqu’éclate la Révolution de Février 1848 , Proudhon est élu représentant du peuple à l’Assemblée Nationale . Il fonde et dirige alors plusieurs journaux dont la plupart sont interdits . Cette activité de journaliste-écrivain , il la poursuivra inlassablement tout au long de sa vie , à travers d’incessantes difficultés matérielles , des procès , trois années de prison et l’exil en Belgique. A sa mort à Paris , à 56 ans ,  il est immensément célèbre , il laisse plus de 40 ouvrages et des centaines d’articles.

La vie de Proudhon se déroule donc toute entière ou quasiment sous le règne de la monarchie . Né à Besançon en 1809 , il mourra en 1865 en plein Second Empire . Entre ces dates la France aura successivement connu le Premier Empire , la Restauration, la Monarchie de Juillet , le Second Empire , avec une brève expérience démocratique , l’espace de quelques mois entre 1848 et 1851. Réputé fondateur du mouvement anarchiste, père de l’anarchisme comme l’incarnent dans la Russie tsariste Bakounine ou Kropotkine , la personnalité de Proudhon est autrement plus complexe que ne le laisse supposer cette paternité souvent affirmée et bien souvent mal comprise . Car cette pensée puissante se présente comme très paradoxale .

Comment situer la place de Proudhon et du proudhonisme , entre libéralisme et socialisme ? entre autorité et anarchie ? Et d’abord , que signifie “ anarchie” pour l’intéressé lui-même ? Si le nom est bien connu, de  combien de réductions , tout autant que celui de Machiavel, n’a-t-il pas été et n’est-il pas encore la victime? Attacher le terme d’anarchie à ce prodigieux penseur n’est-ce pas faire preuve de paresse intellectuelle ou de simplification intéressée ?

Ni capitalisme , ni communisme !

Le plus célèbre de ses ouvrages est, bien entendu,  “ Qu’est-ce que la propriété?”, . Il écrit son brûlot  au moment ou Guizot lance  aux Français son “ Enrichissez-vous “ pour favoriser un libéralisme économique à outrance.  La genèse de l’ouvrage  remonte à 1838  , lorsque Proudhon obtient à 29 ans son baccalauréat et que l’Académie de Besançon lui accorde pour 3 ans une bourse lui permettant de poursuivre ses recherches sans se soucier des contingences matérielles . Dans sa lettre de candidature il rappelle ses origines pauvres, sa soif de connaissances, ses humiliations, ses nombreuses punitions pour avoir oublié son livre de latin parce qu’il n’osait pas dire qu’il n’avait pas de quoi l’acheter.  Proudhon était pauvre , il dût bâtir tout seul sa culture , en autodidacte,  dévorant les livres d’économie et de philosophie. En 1838, son but est d’assurer l’amélioration morale et intellectuelle de ses “frères” d’une  classe ouvrière  alors en plein développement avec la première phase de la révolution industrielle. Il revendique hautement son origine plébéienne :J’eus le rare avantage ...de naître peuple,  tout ce que je sais , je le dois au désespoir”” , “Dès ce moment,  il affirme l’idée d’égalité .

Lorsqu’en  1839, l’Académie met au concours le sujet suivant :

Des conséquences économiques et morales qu’a eues jusqu’à présent en

France, et que semble devoir y produire dans l’avenir, la loi sur le partage égal

des biens entre les enfants.

Proudhon y répond par  “Qu’est-ce que la propriété?” , dont voici le début :

Si j’avais à répondre à la question suivante : Qu’est-ce que l’esclavage?” et que d’un mot je répondisse : C’est l’assassinat , ma pensée serait d’abord comprise . Je n’aurais pas besoin d’un long discours pour montrer  que le pouvoir d’ôter à l’homme la pensée, la volonté, la personnalité , est un pouvoir de vie et de mort, et que de faire un homme esclave, c’est l’assassiner. Pourquoi donc à cette autre demande : Qu’est-ce que la propriété? ne puis-je répondre de même : C’est le vol , sans avoir la certitude de n’être pas entendu , bien que cette seconde proposition ne soit que la première transformée?

J’entreprends de discuter le principe même de notre gouvernement et de nos institutions , la propriété ( ...)  . Je prétends que ni le travail, ni l’occupation, ni la loi ne peuvent créer la propriété ; qu’elle est un effet sans cause (...) Je ne suis point un agent de discorde, un boute-feu de sédition. J’anticipe de quelques jours sur l’histoire ; j’expose une vérité dont nous tâchons en vain d’arrêter le dégagement. (...) . Je suis , comme vous, d’un siècle où la raison ne se soumet qu’au fait et à la preuve ; mon nom  (...) est CHERCHEUR DE VERITE ( en grec , sheptikoos , examinateur , philosophe qui fait  profession de chercher le vrai , la précision est donnée en note par Proudhon lui-même). L’œuvre de notre espèce est de bâtir le temple de la science , et cette science embrasse l’homme et la nature. Or la vérité se révèle à tous, aujourd’hui à Newton et à Pascal , demain au pâtre dans la vallée , au compagnon dans l’atelier. (...) Du reste, je ne fais pas de système : je demande la fin du privilège, l’abolition de l’esclavage, l’égalité des droits, le règne de la loi. Justice, rien que justice (...) je laisse à d’autres le soin de discipliner le monde.

Le scandale causé par le livre fut évidemment à à la hauteur des enjeux . L’Académie se désolidarisa complètement de son pensionnaire , tellement elle fut outrée par la critique de la propriété bourgeoise . Plutôt ignoré à ses débuts , le livre allait avoir un retentissement énorme chez ceux qui en Europe contestaient l’ordre ancien . Proudhon se trouvait alors au cœur du socialisme naissant : il rencontra Marx, Bakounine, Herzen , Tolstoï...

La rencontre avec Marx eut lieu en 1844 à Paris et ils passèrent des nuits entières à partager leurs idées , occasion pour Proudhon de s’initier à la philosophie allemande. Marx songeait alors à réaliser l’alliance entre l’idéalisme allemand et le socialisme à la française.  Mais en 1846- 1847, la brouille ne tarda pas ; en réponse à une lettre de Marx , Proudhon écrivait ceci :Après avoir démoli tous les dogmatismes a priori , ne songeons point à notre tour , à endoctriner le peuple” . “ Parce que nous sommes à la tête d’un mouvement , ne nous faisons pas les chefs d’une nouvelle intolérance , ne nous posons pas en apôtres d’une nouvelle religion. Ce désaccord fondamental va laisser des traces très profondes puisque pendant un siècle la lecture de Proudhon passera par  le prisme marxiste qui fait de Proudhon un petit-bourgeois pétri de contradictions. De son côté, Proudhon considérait Marx comme “ le ténia du socialisme”. “Il ne s’agit pas de supprimer la liberté individuelle, mais de la socialiser” . Cette idée - clé  au cœur de la pensée de Proudhon , fonde à la fois son socialisme et son libéralisme , c’est-à-dire son anarchisme.

Le véritable révolutionnaire est essentiellement libéral , énonce Proudhon dans “ Le Peuple” en décembre 1849 . La France   vit à l’heure de la Seconde République depuis la Révolution de Février 1848 qui a mis un terme à la Monarchie de Juillet . Le gouvernement provisoire a d’une part proclamé le suffrage universel masculin pour les hommes de plus de 21 ans , et d’autre part la suppression de l’esclavage dans les colonies . Une constitution a permis de mettre en place les nouveaux pouvoirs . Mais la Seconde République dure peu , c’est  “ la République des illusions”  , celle du “Printemps des Peuples”  et celle de la fraternité universelle . Déjà en juin 1848 ont eu lieu les  Journées de Juin par lesquelles les ouvriers parisiens ont subi la sanglante répression de l’armée envoyée par le même gouvernement provisoire auquel Lamartine appartenait  . Fin de la République sociale . Je ne crois pas à une république qui tire sur ses prolétairesa pu dire alors Georges Sand.  Et en décembre 1848 , la première élection présidentielle au suffrage universel direct fait du prince Louis-Napoléon le chef de l’Etat à une écrasante majorité ... La fin de la République démocratique n’est pas loin , elle est consacrée par le coup d’Etat du 2 décembre 1851 ; un an plus tard  Napoléon III rétablit l’Empire . C’est dans ce contexte qu’il faut donc replacer la formule énoncée par Proudhon : Le véritable révolutionnaire est essentiellement libéral” .

( à suivre ) JBD

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