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PHILO-ALETHEIA
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13 octobre 2010

limite ,frontière,territoire

J'accompagne un ami qui s'en va

Les roseaux tendres des marais la nuit les a couverts de givre

Lune froide et montagnes se colorent d'une même pâleur grise

Qui eût dit qu'il y aurait mille lis* déjà au crépuscule

Le voyageur de mon rêve est aussi loin que la frontière est longue.

                                                Poème de XUE TAO ,poétesse des Tang (768/770-832/835)

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                • un li = 0,5km

Ces trois termes : limite, frontière et territoire sont fréquemment utilisés en Géographie. Limite et frontière sont des notions essentielles et territoire est un concept fondamental , autrement dit une représentation générale clairement définie et consensuelle , susceptible en outre de guider la recherche et de fonder des hypothèses. Ils permettent de penser l'espace, mot vital chez les Géographes, c'est-à-dire l'étendue terrestre utilisée et aménagée par les sociétés humaines en vue de leur reproduction : se nourrir, s'abriter, et permettre l'expression dans leur complexité de tous les actes sociaux. L'espace géographique est une acquisition récente. Très peu utilisée jusqu'à la fin des années 1960, l'expression est apparue lors de la création de la revue «L'espace géographique» en 1972 , et de la parution de l'ouvrage militant d'Henri Lefebvre «La production de l'espace» en 1974. Ces deux ouvrages ont ouvert de nouvelles voies aux Géographes , elles leur ont permis de circonscrire leur champ : la connaissance de l'œuvre humaine qu'est la production et l'organisation de l'espace. Cette intelligence de l'espace a toujours été utile aux stratèges ( selon Yves Lacoste  la géographie sert d'abord à faire la guerre), aux marchands ( cf. les stratégies territoriales des grandes firmes dans la mondialisation), aux promoteurs et autres investisseurs, au promeneur aussi ( Julien Gracq , « En marchant, en écrivant»).

Les trois termes [et il est intéressant de noter ici que le mot terme désigne à la fois la fin associée à l'idée de confins tant dans l'espace que dans le temps, et le mot dont le sens est délimité ( limite), défini ( fin) ou étudié ] ouvrent chacun séparément ou bien en correspondance les uns avec les autres un champ sémantique très riche que nous nous emploierons à parcourir par la suite. Ils ne sont heureusement pas l'apanage de la géographie et sont utilisés avec profit par l'ensemble des sciences auxquelles ils fournissent des voies de réflexion très fertiles. En effet, la science , qui est connaissance raisonnée, organisée et vérifiable suivant des règles de conduite que sont l'épistémologie et la logique, vient du latin scire, c'est-à-dire ce que l'on sait ou connaît , avec l'idée de trancher, comme dans discerner ou décider; la science est discernement et prise de décision, elle se donne dans chacun de ses domaines un objet ( sciences de la matière, de l'énergie, de la vie, de la société, de l'espace , du passé des hommes , etc …), elle cherche à poser ses limites lui permettant de se définir et de délimiter son territoire ( ainsi E. Le Roy Ladurie a-t-il inventé l'expression «Territoire de l'Historien»)pour prendre conscience de la frontière qui assure à chacun de ses domaines sa propre spécificité.

De leurs côtés, la philosophie et la géographie n'ont pas entretenu de liens particulièrement idylliques : la philosophie a très peu dit sur la géographie , même si Kant était géographe et si Montaigne affirmait que « La philosophie a tant dict que tous nos songes et resveries s'y trouvent ». C'est la raison pour laquelle la géographie n'a pas pleinement trouvé sa place dans le champ des sciences et n'a pas explicité ses assises et ses débats épistémologiques : elle a longtemps été confinée au sein des sciences naturelles. Or elle se revendique avec insistance comme une science sociale, mais la « jeunesse » toute relative de cette discipline issue pourtant d'une pratique très ancienne en est une explication.

Il convient ici, malgré la superbe ignorance mutuelle de ces deux approches , philosophique et géographique, de montrer la pertinence de l'emploi de ces termes de limite, frontière et territoire dans ces deux champs en particulier et dans celui plus général des sciences humaines , voire des sciences pures. Quelle légitimité en retirer ? En quoi peuvent-ils être garantie de validité?

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Amorce d'une exploration du sens des mots

Lorsque la frontière est conçue comme une limite, elle est en effet dans ce cas la limite du territoire d'un Etat et de sa compétence territoriale , elle borne le pays et elle prend ainsi une acception politique. Le terme de frontière se traduit en anglais pas «  boundary », en allemand par « grenze », et ces traductions ne font état que de la limite , des confins. Dans ce sens-là , la frontière est fermeture, repli sur soi, séparation, division, obstacle aux échanges. Elle prend le risque de développer un nationalisme agressif, une peur de l'étranger, un refus de l'inconnu, un souci de maintenir l'intégrité de  « notre » territoire ou de « notre » identité, si le mot frontière par extension s'applique à deux entités plus ou moins abstraites ( bien / mal - humain / animal - soi / l'autre , etc ).

Lorsque la frontière prend le sens que Turner avait donné à « frontier » ( autre traduction anglaise pour le mot français de frontière), elle devient une frange mouvante où peut se forger une nouvelle société, en l'occurrence la société américaine. Elle est ainsi un front où l'on affronte non pas les voisins mais l'inconnu. En ce sens , elle est ouverture, une interface entre des systèmes différents où fonctionnent des effets de synapses ( ruptures, passages, relais), d'autant plus forts que le gradient entre les deux espaces séparés par la frontière est plus important. Ces frontières-ouvertures sont des espaces de créativité, de nouveaux espaces, des espaces pionniers qui avancent dans l'inconnu.

Un débat pourrait s'ouvrir entre ces deux conceptions de la frontière. La première aboutit au nationalisme, au protectionnisme, à l'amour de la patrie, de la famille , de soi. Ainsi faut-il rester chez soi, entre soi, et reconduire à la frontière tous ceux qui la transgressent ; il ne faut rien vouloir pour les autres, ni bien , ni mal. La condition étant qu'ils restent chez eux.

La seconde conception peut déboucher sur l'universalisme, le cosmopolitisme, l'internationalisme.

L'abolition ou l'ouverture des frontières à l'œuvre aujourd'hui dans maintes parties de l'espace mondial ( mondialisation des échanges , migrations , nouvelles technologies de la communication et de l'information) s'accompagne-t-elle du développement d'une humanité sans frontières comme on parle sur le plan de l'aide humanitaire de « Médecins sans Frontières » ?

Loin de ce débat simpliste, sinon un peu truqué, sans doute serait-il plus judicieux de rechercher dans les différentes facettes de la frontière, de la limite et du territoire, quels sont les risques que court une humanité sans limite , sans frontière et sans territoire , exposée à l'infini, à l'illimité et à l'indéterminé.

Le mot territoire lorsqu'il est défini comme une portion d'espace approprié, avec conscience ou sentiment de son appropriation est proche du sens de patrie, de nation . La notion de territoire est à la fois juridique, sociale, culturelle et affective. Elle implique toujours une appropriation de l'espace. Les sentiments d'appartenance ( je suis de là) et d'appropriation ( c'est à moi, c'est ma terre , mon domaine) constituent la spécificité du territoire qui n'est pas que de l'espace. C'est sur le territoire que se cristallisent les représentations collectives et les symboles. Il peut être de nature individuelle, familiale, mais il relève le plus souvent de la socialisation de l'espace.

Par métaphore, il existe des sens figurés du mot territoire qui conservent l'idée de domaine personnel ou collectif , tel que l'exemple déjà évoqué du territoire de l'historien. Roland Barthes évoquait pour chaque discipline «  un petit territoire de langage, un placer terminologique dont il est interdit de sortir ».

Le terme de territoire est à rapprocher de l'oikos grec ( qui donne économie , métèque, œcoumène...) ou de la racine latine dom ( maison , patron), ou du russe gos ( Etat, seigneur).

L'idée de territorialité contribue à fonder l'identité du groupe , elle peut être source de cohésion mais aussi de division, d'exclusion , de haine.

(Fin de la première partie , à suivre )

M D

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Commentaires
M
j'apprecie vos approches sur les concepts frontiere, limite et territoire. Mais vous dites que la philosophie ne s'interresse pas trop a la Geographie. Vous pouvez approfondir un peu plus sur les raisons pour les quelles la philosophie......
Répondre
L
Critique et Vérité, Barthes
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E
Bonjour et merci pour cet article, j'ai cependant une question, d'où tirez vous la citation de Barthes : « un petit territoire de langage, un placer terminologique dont il est interdit de sortir ».<br /> <br /> Merci
Répondre
PHILO-ALETHEIA
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