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PHILO-ALETHEIA
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27 août 2010

De l'éthique machiavélienne (partie 1)

1 ) Entre morale et politique, le surgissement du tiers

Dans la représentation commune, Machiavel est l’homme du machiavélisme, celui qui, dans la pensée politique, soumet ouvertement la pratique à une logique absolue d’efficacité au mépris de toute dimension morale et dont le seul souci consiste à maintenir coûte que coûte le Prince au pouvoir. « Qui veut la fin veut les moyens », « la fin justifie les moyens », autant d’expressions pour qualifier ce qui ressemble à une insupportable inversion du rapport aux valeurs qui dominait jusque-là, du moins officiellement dans les discours et les théories censés s’occuper du bien commun ou de la chose publique.

De nombreux commentateurs et historiens de la philosophie ont réfléchi sur le rapport problématique que l’auteur du Prince construit avec la morale. Machiavel est-il vraiment machiavélique ? La question n’est peut-être pas bien posée car elle présuppose un ancrage dont on peut soupçonner la forte dimension normative initiale, le socle moral implicite qui ferait la valeur du discours et la légitimité de l’intervention politique.  L’adjectif « machiavélique » est déjà une manière d’orienter la question à partir d’un référent moral servant de justification et de guide pour l’action. Si Machiavel dynamite effectivement ce référent, ce n’est pas pour le faire disparaître mais pour le disqualifier comme « miroir » de l’action et comme étalon indépassable et unique. Ce face à face (morale-politique) a vécu, a toujours mal vécu en vérité parce qu’il a toujours fait l’économie de la source de l’agir et de l’horizon indépassable de l’humain : la fugacité de l’existence et la mort.

S’il est une vérité de la pensée machiavélienne, c’est d’abord dans le dévoilement radical d’une dimension trop souvent inaperçue et pourtant déterminante, jouant le rôle de tiers et brisant le couple magiquement construit (morale et politique) sur le socle tranchant du Réel. La danse, la ronde ou le jeu politique comme on voudra, ne se joue pas à deux (l’action et la valeur) mais à trois. De même que la vie de « couple » se pense d’abord illusoirement dans une version fusionnelle, édulcorée et binaire (moi et toi, puis nous et les autres) avant que n’apparaisse le tiers toujours menaçant (la naissance de l’enfant, l’amant, la maîtresse, le deuil, la maladie, la toxicomanie, l’habitude etc.), la politique doit aussi se penser sur fond d’altérité radicale et de trahison pour viser l’efficacité requise et le bien commun. Telle est la révolution opérée par le penseur florentin. A l’illusion première d’un amour capable de se fonder soi-même, d’une fidélité pérenne proclamée a priori, nous opposerons l’inconstance du désir, les rencontres inattendues et la trahison potentielle qui ne demande qu’à s’actualiser. Telle est l’illusion d’un ordre stable fondé sur les valeurs (justice, égalité, fidélité…) et toujours menacé d’effondrement. C’est que si les hommes sont les jouets de leur désir et de leur caprice, il semble en être de même pour la nature toujours grouillante et menaçante.

Cruelle nature qui paraît trahir nos certitudes et défaire nos espérances! Trahir ? Comment le réel pourrait-il seulement trahir quoi que ce soit ? Le verbe est déjà de l’ordre de la « récupération morale », de cette pathologie de la civilisation – « la moraline » pour parler comme Nietzsche, de ce discours contrarié, fruit du ressentiment à l’égard des choses et des intentions humaines.  Le réel ne trahit pas car il ne promet jamais rien.

Et c’est bien ce qui fait du jeu politique l’affaire la plus ridicule et la plus sérieuse à la fois parce qu’elle est à l’image de ce que le réel nous inflige, le dérisoire de la vie et la gravité de la mort. Combien de personnages politiques sont-ils morts autant symboliquement que réellement de ne pas avoir saisi la portée tragique de ce jeu ? Combien ont-ils entraîné leur Etat et des sociétés entières dans la destruction et le chaos ? C’est que pour accéder à cette décisive modalité du tiers, celle qui vient briser l’illusion première de la valeur immédiate du monde, il faut « faire retour aux choses  mêmes » selon l’expression phénoménologique bien connue. Il est nécessaire de retrouver comme le dit Machiavel, la « vérité effective de la chose » sous le voile du mensonge adressé à tous et intériorisé sous l’impact de la coutume et du clan. Sans cette vérité fondamentale, nulle politique ne peut se constituer sérieusement ni perdurer sous la loi du réel.

Irruption, surgissement et fracas dans le cours des choses que l’on veut ordinaires, telle est la force implacable de ce que nous appelons le hasard, que Machiavel nomme ici « la fortune » et qui vient constituer un arrière-plan métaphysique essentiel.

Nous le devinons ici, notre auteur n’abandonne pas la politique à elle-même, il ne la conçoit pas de manière autocentrée, comme fait du seul arbitraire d’un Prince au pouvoir absolu et dont le référent ne serait que lui-même. Le tiers surgit dans la conscience du Prince comme conscience du pire, comme métaphysique tragique qui conditionne les limites de l’agir politique mais aussi ses potentialités. A partir d’une historicité du bien et du mal et du paradoxe des vertus, nous tenterons de penser le rapport entre l’arrière plan métaphysique (Fortuna) suggéré par Machiavel et les possibilités réelles d’action. Ainsi, pourront se dessiner paradoxalement les contours ou les soubassements de ce que nous appellerons une éthique machiavélienne, position exactement inversée à ce que pourrait être une politique machiavélique.

Lire la seconde partie ici

DK

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Commentaires
M
Sur ce sujet la position de Hobbes n’est pas simple. Contrairement à Aristote, le Représentant souverain n’endosse pas un intérêt commun préexistant, il en réalise l’émergence. Vivre bien et vivre en paix, constitueront à la fois le moteur et la finalité du gigantesque artefact politique qu’est Léviathan. <br /> Or, l’Etat hobbesien, de par sa structure particulière que lui confère la représentation s’annonce avant tout, comme une puissance dissuasive plus qu’un pouvoir coercitif. <br /> En effet, force est pour nous de constater que dans l’ordre principal des préoccupations politiques de Hobbes, vient en premier lieu la création d’un pouvoir souverain. Le deuxième souci portera sur la meilleure façon d’établir un Etat, qui doit et c’est là, la nature même de toute souveraineté s’inscrire dans la DUREE .<br /> Or, sur ce point fondamental, le modèle de type associatif apparait comme un obstacle insurmontable à l’émergence de toute souveraineté. Hobbes ne croit pas à l’unanimité des consciences. En effet, comment pouvons-nous assumer les prérogatives de l’Etat hobbésien que sont la nécessité et l’obéissance, l’unité du souverain et la sécurité paisible pour la vie privée, si l’institution politique n’acquiert aucune STABILITE ?<br /> La fictio d’un consentement interdividuel de type médiéval ne suffit plus pour produire l’unité du corps politique. La solution Hobbes la trouvera ailleurs, dans un autre modèle qu’il empruntera aux sciences de sont temps, qui le placeront sous le signe de la rationalité et du constructivisme. L’idée de souveraineté résultera d’un processus logique, qui définit en deçà de tous les régimes, la structure nécessaire de la société civile.<br /> La souveraineté sera fondée sur le pacte d’autorisation et de représentation certes très minimaliste .L’artifice de la convention est insuffisant s’il n’émerge pas au dessus d(elle la présence d’un tiers, d’un représentant qui tiennent les hommes en respect. Mais comment l’UN peut-il unifier le multiple ? Car si la souveraineté et la représentation vont de pair, pour qu’il y ait représentation, il faut nécessairement que soit opérée une unification, une personnification de la multitude que l’on nommera PEUPLE.<br /> Par là , il apparait que le contrat générateur de la société civile n’est ni un pactum associationis, ni un pactum subjectionis. Il est une societas contracta reposant sur la transmission mutuelle des droits de tous à un seul qui sera ipso facto chargé de les représenter et d’agir en lieu et place. La souveraineté en tant que processus représentatif est davantage dans sa nature interne qu’un simple consensus, ou qu’une simple concorde, elle est une unité réelle, une forme d’union que l’on retrouvera dans la création toute singulière du concept de personne comme nouvel instrument juridique.
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P
Merci Marie pour cet éclairage. Tu construis un<br /> intéressant parallèle entre Hobbes et Machiavel. Il y a, en effet, une filiation incontestable qui n'est pas d'ordre métaphysique mais clairement anthropologique. Chez Hobbes, l'Etat, issu du contrat naît de l'angoisse de la mort et de l'insécurité propres à l'état de nature. Tel est, si on veut le tiers (le réel) auquel l'homme est confronté. Le réel, c'est la nature de l'homme, celle qui parle en lui jusque dans l'usage de sa propre raison. Pas d'éthique donc mais une logique du calcul et un rapport de forces au service du bien suprême de la part du gouvernant (monarque): "salus populi ultima lex" (le salut [sécurité] du peuple est la loi fondamentale). <br /> Une différence persiste néanmoins, c'est qu'il y a chez l'auteur du Léviathan une différence de nature entre le souverain (qui ne signe pas le contrat) et le citoyen alors que pour l'auteur du Prince, qui raisonne hors contrat social, l'homme politique est exactement de même farine que l'homme ordinaire. Il use tout autant de la méchanceté comme du bien si les circonstances l'exigent, comme le font les braves gens. Une différence persiste, mais elle est de degrés pas de nature. Il me faudra y revenir dans la suite de l'article (qui va bientôt venir). Merci encore pour la qualité de cet échange sur Philo-alètheia. <br /> DK
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M
Cher D.K, voici un bel éclairage sur ce que tu nommes, à fort bon droit d’ailleurs : une éthique machiavélienne. Celle-ci trouve quelques échos ou résonances, faut-il en convenir, dans la conception hobbésienne du politique. <br /> En effet, il semblerait judicieux de souligner ce caractère prégnant de la présence d’un tiers comme constituant l’essence même de l’éthique machiavélienne mais «également hobbésienne sous cet angle choisi.<br /> D’aucuns parleront à tort, à propos de l’auteur du Léviathan d’un choix politique réducteur, puisque le souverain, seul gouvernant et maitre du navire, détiendrait le pouvoir absolu, mais le partisan de l’absolutisme n’est pas celui du pouvoir absolu. Soit l’affaire est entendue.<br /> Mais,un peu de moralité je vous prie et de respect des libertés individuelles, et faisons cohabiter la morale et la politique, si chère à la tradition aristotélicienne, la vertu, l’excellence (arété) érigée en principe (arché) de la politeia. Cela va de soit non ? <br /> Contre vent et marées, je propose de bousculer et de renverser la tradition, n’en déplaise à l’auteur des politiques.<br /> La question politique par excellence, n’est plus : comment l’homme doit-il vivre, ou quel est le meilleur régime qui lui permettra de vivre conformément à l’arété mais comment, d’après l’étude des passions humaines (point de vue éthique), l’homme peut-il fonder une société pacifique et du bien vivre ? Leurre ou réalité, à chacun ses convictions.<br /> Le point de départ selon le philosophe de Malmesbury sera le suivant. Si les hommes sont égaux par nature, quant aux facultés du corps et de l’esprit, du point de vue des passions, ils sont différents. En effet, le courage et l’orgueil de certains les poussent à vouloir dominer le monde entier (nous les appellerons les immodérés), les autres, faisant usage de leur raison : les modérés, adopteront une attitude plus défensive. Chaque individu agissant de son propre chef, s’autolimite, s’auto-définit par rapport à ses propres désirs.<br /> Doit-on alors affirmer et réitérer l’adage spinoziste : autant de droit que de puissance ? Probablement, mais loin de s’inscrire exclusivement à l’état hypothétique de nature que Thomas Hobbes envisage dans le De Homine, force est de constater qu’au sein de tout hémicycle aujourd’hui domine cet instinct et cette volonté de puissance, imprévisibles dans sa manière d’advenir, difficilement canalisable mais toujours déjà là inscrite dans une potentialité accrue. Ma fin justifie mes moyens ? Le philosophe anglais répondrait indéniablement par l'affirmative face à ce constat d'échec et ce chaos imminent de la morale et de la politique.<br /> Thomas Hobbes ne croyait pas à l’unanimité des consciences, raison pour laquelle il prônait l’exercice du pouvoir d’un seul homme avec l’aide de conseillers privés, paradoxe de la finalité du politique et de la difficile gestion des affaires humaines en vérité. <br /> « Affaires », avez-vous dit, l’actualité témoigne tragiquement chaque jour de leurs recrudescences, indécentes réalités noyées dans les aléas des passions, d’une éthique nouvelle, nulle et non avenue celle de l’INTIME !
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P
Il est essentiel de distinguer le réel et la réalité. Si la seconde est ce qui se passe dans l'ordre ou le désordre des affaires humaines, le premier désigne un régime métaphysique gouverné par le hasard (ou la fortune). La force de Machiavel est d'établir un pont entre les deux à partir d'une anthropologie qu'on peut qualifer de négative : "les hommes sont inconstants et déterminés par leurs passions". En ce sens, ils n'échappent pas à la nature et s'inscrivent dans le réel. C'est la pensée de ce rapport qui nous permet d'envisager une éthique machiavélienne (et non une morale).<br /> Cela permet-il d'espérer ? C'est affaire d'idiosyncrasie. Du point de vue de la réalité, les choses semblent changer ; du point de vue du réel, rien ne change vraiment : "Eadem sunt omnia semper sed aliter" (les choses sont toujours les mêmes mais autrement), comme l'écrit Schopenhauer.<br /> Altérer ? Désaltérer ? Tel est le "régime" dynamique de la nature : la contrariété des forces.<br /> <br /> DK
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T
René Char est entré dans la Résistance dans les années 40 pour lutter comme bons nombres de nos compariotes contre le Réel de ce temps : arrestations ,tortures,gestapo, collabos ,liberté bafouée ect . Son éthique personnelle l'a guidé pour combattre ce Réel ,son engagement en fait foi . Il écrivait alors et cette métaphore sublime peut être encore lue et méditée de nos jours quand on voit le Réel en politique et ce que font les hommes politiques de leur ethique initiale ...Ne perdons pas l'espoir."Le Réel quelquefois désaltère l'espérance . C'est pourquoi contre toute attente l'espérance survit "<br /> Que dire de plus ?
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PHILO-ALETHEIA
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