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PHILO-ALETHEIA
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25 août 2010

L'art en jeu. Le jeu de l'art (partie 1)

Dans son activité créatrice, que fait l’artiste sinon jouer avec le réel ou déjouer  la réalité? La création artistique et le jeu auraient- ils une origine, une trajectoire commune ? De  quel jeu s’agit-il ? L’artiste est-il maître du jeu ou jouet d’un heureux hasard ?

Dans son livre « Approche de la parole », Lorand Gaspar écrit : « Ce que nous nommons pompeusement activité créatrice, n’est au fond qu’une faculté de combinaison, de construction d’ensembles nouveaux à partir d’éléments existants. Ce qui par moments réellement se crée, c’est une qualité, une saveur, une logique, un sens nouveau, qui n’étaient pas présents au niveau des éléments, qui ne pouvaient  en être déduits. Ainsi procède la nature en allant  du simple au complexe, en laissant se défaire ce qu’elle a mis tant de patience à bâtir. Pour que tout recommence. Elle y met une application, un sérieux infinis. De l’homme, la fraîcheur du rire, du jeu inutile, les feux de l’amour et de la folie, la douleur de la tragédie »

Le mot « jeu » revêt deux sens .Le premier : Activité libre et gratuite visant le plaisir, la distraction. Deuxième sens : c’est la différence entre les dimensions des pièces d’une machine ou d’un objet complexe conçues pour s’emboîter l’une dans l’autre, qui rend possible un mouvement non prévu au départ .Ces deux sens renvoient à l’idée de liberté, de marge de manœuvre. Ces deux sens n’excluent pas la référence à des règles.

(Dictionnaire de philosophie de A à Z)

Le jeu de l’enfant

Dans le jeu spontané, le petit enfant  satisfait  sa curiosité, son besoin de manipuler, d’explorer, d’inventer.  Dans ce retrait, seul et souverain, il joue de son corps, de ses sens, de ses mains avec l’élémentaire. Il manipule, agence, transforme. Le  temps semble suspendu. Affranchi  des limites  imposées par sa réalité psychique et la réalité extérieure, il  fait l’expérience de sa singularité, de ses potentialités, de son pouvoir de créer, sans contraintes, jugements, appréciations. Espace d’intimité, d’authenticité,  d’ouverture, de totale réceptivité, de gratuité, de joyeuse inutilité. Dans son jeu, tout est possible, tout est permis  selon les règles qu’il se donne. Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, mais pleinement humain. Ce  que suggère Schiller: " L’ L'homme ne joue que là où, dans la pleine acception du mot, il est un être humain, et il n'est tout à fait un être humain que là où il joue. "

Dans  son jeu, l’enfant peut libérer des pulsions, conjurer son angoisse, décharger son agressivité. Il construit et détruit  tout  à la fois. Mais la destruction d’un  jouet révèle aussi bien autre chose. Dans  cette prise de distance avec la réalité,  l’enfant touche au secret, au mystère des choses,  soupçonne l’existence d’autre chose .Dans  cette distanciation, cet écart accepté  et recherché, l’enfant développe une conscience intuitive d’un tout beaucoup plus vaste, mouvant. Ce que relève Bachelard : « Et voilà la curiosité de l’enfant qui détruit son jouet pour voir autre chose, voir au-delà, voir au-dedans, bref échapper à la passivité de la vision... La volonté de regarder à l’intérieur des choses rend la vue perçante, la vue pénétrante. Elle fait de la vision une violence. Elle décèle la faille, la fente, la fêlure par laquelle on peut violer le secret des choses cachées." (La terre et ses rêveries de repos.)

Pour Winnicott, le jeu constitue ce qu’il nomme un phénomène transitionnel, qui comme l’objet transitionnel  aide et permet  progressivement à l’enfant  la séparation avec sa mère ou substitut maternel. Comme son nom l’indique, cet  espace  de transition,  intermédiaire, se situe  entre d’une part la réalité psychique interne de l’enfant, espace du dedans, et la réalité  extérieure, partagée, espace du dehors. Winnicott distingue donc trois aires et c’est dans cet espace potentiel, intermédiaire  que l’enfant  à travers son jeu fait l’expérience de son moi, de sa créativité. Le jeu va répondre à des besoins bien définis. " Pour bien saisir ce que c’est que jouer, il ne faut pas oublier que c’est la préoccupation qui marque essentiellement le jeu d’un enfant. Ce n’est pas tant le contenu qui compte, mais cet état proche du retrait qu’on retrouve dans la concentration des enfants plus grands et des adultes. L’enfant qui joue habite une aire qu’il ne quitte qu’avec difficulté, où il n’admet pas facilement les intrusions.  Dans cette aire, l’enfant rassemble des objets ou des phénomènes transitionnels appartenant à la réalité extérieure et les utilise en les mettant au service de ce qu’il a pu prélever de la réalité interne ou personnelle. Sans halluciner, l’enfant extériorise un échantillon de rêve potentiel et il vit, avec cet échantillon, dans un assemblage de fragments empruntés à la réalité extérieure".  (Jeu et réalité)

Nous découvrirons que cette dimension ludique qui imprègne la création artistique loin d’être futile et inutile, est fondamentale et peut-être seule garante d’authenticité et de « récréation » pour autrui. Accepter cette dimension ludique contrarie de nombreux préjugés   et représentations  présentes concernant la création artistique  et l’artiste. Celles-ci  en confisquent la part d’ineffable, d’impondérable, d’universel   la réduisant bien souvent à une activité accessoire et à des fins mercantiles. A ces représentations, se rattachent les illusions  du génie de l’artiste.

Marge de manœuvre

C’est  l’expression  « Marge de manœuvre » et l’image qu’elle renvoie  que je choisis d’explorer. Etymologiquement, on retrouve dans le mot manœuvre : manus opera , La main et l’œuvre. C’est bien cette image  de mise en marche du corps et du psychisme, de conduite, qui apparaît dans le jeu et l’activité créatrice .En effet, on peut envisager l’aire transitionnelle définie par Winnicott, cet espace défini  entre la réalité du dedans et la réalité du dehors comme  la possible marge de création, l’ écart visible où pourra advenir une « manœuvre » possible, un mouvement de l’être dans toute sa puissance. C’est dans un " entre"   que peut se dérouler le jeu. C’est dans un " entre ", que l’artiste se situe. Il est important de retenir à la fois la réalité de cette marge fictive et le retrait,  le repli nécessaire à la création qu’elle rend possibles.

Il y a à la fois distance et immersion. Distance avec la réalité et immersion dans le réel. Tel un homme de rivage,  l’artiste a besoin  de cet « entre » .Intermédiaire, espace mitoyen, passage  pour créer. Comme s’il ne pouvait se tenir qu’à la lisière entre le dedans et le dehors. L’atelier devient très souvent la matérialisation de cet espace fictif, mais on sait aussi que l’artiste  peut le retrouver dans n’importe quel lieu et qu’il est sans doute le seul à l’éprouver.   

Plus s’accroit la conscience de la nécessité  intérieure de créer, plus s’élargit cette marge. Grand écart, où s’engouffre le présent. Peu à peu, marge d’équilibre, juste milieu.

Lieu de passage, de métamorphoses. C’est à la lisière de deux mondes que la vie surgit, se forme. Dans ce retrait, au plus près du réel, l’artiste compose avec ce qu’il est, ce qui vient, ce qu’il pressent, ce qu’il perçoit. Nul résultat escompté, nul calcul, nul souci de séduire. Ce qui compte alors, c’est l’œuvre qui se créée en lui, qu’il secrète comme un suc, une substance .Gestation, genèse.

Jeu sensible, sensuel avec   la matière, les formes  qui adviennent, les sensations déposées, enregistrées qui affleurent toujours. Strates, sédiments, alluvions, formant comme une « pâte »qui accompagne le jeu de l’artiste et dont il dispose à son gré.

Dans ce jeu de création, l’artiste semble au plus prêt du jeu universel.

On y retrouve ce processus d’addition, de  symbiose entre éléments préexistants, de tri, sélection, élimination. Complexification  qui engendre  l’œuvre. Celle-ci ressemblerait  davantage à une manifestation, un organisme, un événement. Envisagée comme fragment d’un devenir, échantillon d’une « formation » l’artiste n’invente rien, ne crée rien de nouveau, mais  compose avec ce qu’il est au présent, à un moment donné. L’œuvre serait comme le  concentré d’un univers en gestation, un phénomène parmi d’autres.

Dans son livre « De l’univers à l’être », Jean marie Pelt  évoque la  richesse des espaces frontaliers, des lisières. « Telle est une des grandes lois de la vie que les nouveautés s’élaborent souvent dans les régions frontalières, au confluent de milieux différents s’enrichissant de leurs apports respectifs et opposant des défis aux êtres avec lesquels elles sont confrontées. On sait la richesse biologique des estuaires où se brassent les eaux douces et saumâtres, où s’accumulent les alluvions. On sait aussi la richesse des marécages, frontière indécise entre la terre et l’eau. L’histoire humaine  n’échappe pas à cette loi universelle. L’évolution se fait par les marges .Le littoral apparaît comme le lieu privilégié où la vie végétale passe de stade unicellulaire, planctonique à l’organisation pluridisciplinaire des algues fixées ».

               

« Entre est l’instant où le destin échappe à la vitesse »

« Par la  voie de l’entre, se produit la floraison du vide appelant »

Claude MARGAT
"Daoren, un rêve habitable". Editions de la différence.

Va et vient entre ce qu’il voit, ce qu’il sait, ce qu’il éprouve, ce qui advient. Concentration, contemplation, fermentation, épuration, destruction, volatilisation ….Autant d’opérations  presque alchimiques, étapes qui ponctuent ce processus. L’artiste recueille, trie, combine, agence, détruit, élimine. A la fois maître du jeu et jouet de ce jeu qui le dépasse. Intermédiaire, médiateur, passeur,  liant entre le visible et l’invisible.

L’artiste retrouve  à son échelle confusément le jeu de la création universelle. Et c’est sans doute Paul Klee dans ses « Ecrits sur l’art », qui a le mieux saisi , compris et exploré  cette idée  de la création comme genèse.« Le dialogue avec la nature reste pour l’artiste condition sine qua non. L’artiste est homme ; il est lui-même nature, morceau de nature dans l’aire de la nature. Plus loin plonge son regard et plus son horizon s’élargit du présent au passé. Et plus s’imprime en lui, au lieu d’une image finie de la nature, celle (la seule qui importe) de la création comme genèse.  De même qu’un enfant dans son jeu nous imite, de même nous imitons dans le jeu de l’art les forces qui ont créé et créent le monde ».

Au cours de son parcours de création, comme tout homme croît, mûrit, s’étend sa conscience du monde, du réel .Toute sa démarche d’artiste influe sur sa démarche d’homme. Et les deux se confondent. Sa démarche créatrice n’est pas dissociée de la vie, mais établit peu à peu un véritable art de vivre .Manière de vivre, de comprendre le monde, de l’interroger. Cette  conscience du monde élargie, s’accompagne d’une recherche  de connaissance universelle, et influence à son tour sa création. Comme si lui-même était modelé, façonné à son insu par sa création. Comme tout travailleur physique au terme de nombreuses années  peut repérer l’érosion d’une  gestuelle  répétée sur son corps, l’artiste  est aussi transformé en profondeur par son activité créatrice.

« Nulle part, ni jamais la forme n’est résultat acquis, parachèvement, conclusion. Il faut l’envisager comme genèse, comme mouvement. Son être est le devenir et la forme comme apparence n’est qu’une maligne apparition, un dangereux fantôme. »

« La forme est fin, mort. La formation est Vie. »

Paul Klee définit ainsi les étapes principales du trajet créateur : « le mouvement préalable en nous, le mouvement agissant, opérant, tourné vers l’œuvre, et enfin le passage aux autres, aux spectateurs, du mouvement consigné dans l’œuvre ».

Quel est ce mouvement opérant ?

Le peintre « apporte son corps » dit Valéry.

Lire la deuxième partie ici

                                                                                                             BC

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Commentaires
M
Bonnes pistes il me semble.De qui au moins remmettre à plat quelques fatales illusions. Merci.<br /> PS: vous avez écorché mon nom dans votre article en citant "Daoren".Je m'appelle mArgat et non mOrgat.Pourriez-vous SVP corriger?<br /> Bien cordialement,<br /> Claude Margat
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G
J'aime beaucoup cette idée de penser le jeu de l'art comme une forme du jeu universel de la nature, de répérer les forces actives et créatives, et de leur donner toute leur dimension.<br /> Vivement la suite!
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PHILO-ALETHEIA
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