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PHILO-ALETHEIA
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2 août 2010

Hasard et création (partie 2)

Hasard et création, partie 1, cliquez ici.

Hasard et création, partie 3, cliquez ici

Hasard et création, partie 4, cliquez ici

Typologie du hasard :

1) Le hasard comme "sort" :

Ce hasard familier et commun n'a du hasard que le nom. Il désigne le registre des choses cachées qui agissent dans l'ombre et déterminent à la surface la "chance" ou la "malchance". Hasard provient ici de "fors" en latin, le sort et dont on garde la trace en français dans la "fortune" qu'on sait bonne ou mauvaise.  Ce niveau de hasard procède d'une croyance en un destin ou en un esprit capable de frapper la trajectoire humaine, de la sacrifier ou de la sauver, en vertu d'un plan ou d'une intention qui présiderait à l'organisation des phénomènes ou à ce qu'ils doivent être. Ce hasard divinisé se rapporte volontiers à l'esprit théologique ou enfantin conçu par d'Auguste Comte dans sa loi des 3 états. Il caractérise un mode de croyance en une puissance supérieure, en une force qui donne sens à tout ce qui échappe à la prévision et vient combler tous les désordres de la nature. Le sort, c'est la magie à l'œuvre dans l'existence ; c'est l'affirmation de volontés projetées sur le réel afin d'en réduire l'étrangeté pour ne pas dire la sauvagerie. Son intentionnalité est d'autant plus significative qu'il n'est jamais indifférent. Le sort s'acharne avec cette persévérance de l'ennemi total. Il concentre toutes les tentations paranoïaques de l'homme dans le visage dissimulé d'un dieu sans nom. La symbolique du sort est l'œil qui voit tout, le mauvais œil qu'attisent les puissances occultes de ce monde. Le sort a l'apparence du hasard mais en grattant un peu, il dévoile les tendances irrationnelles de l'homme sous le verni de la surdétermination. Il réinjecte du sens partout pour mieux faire disparaître sa possible indifférence. Il anéantit par la même occasion l'idée de chaos pour mieux l'accomplir dans l'existence. Mais ce qui est chaotique n'est pas le hasard-fors en tant que tel, ce sont ses effets directement liés et associés à un individu, à une communauté (famille, clan, groupe...) dont les conduites, les activités, les pensées doivent nécessairement provoquer le désastre ou la réussite.

Le hasard n'est pas donné ici dans sa forme objective mais à travers l'interprétation du réel orienté vers des intérêts humains, réel revanchard et obstiné comme peut l'être l'ennemi dont on a besoin pour faire face à tous les dangers de ce monde. Fors est donc à la fois un hasard anthropologique et théologique. Anthropologique car il ne s'occupe que des affaires humaines et détermine leur "sort" donc leur existence ; théologique parce qu'il suppose la présence de forces à l'œuvre, de volontés qui travaillent en réalisant un certain nombre de processus finalisés ("je vous l'avais dit, il est mort, ça devait arriver..."). Notons que la forme la plus radicale de "fors" s'incarne dans la figure implacable du destin, l'exact contraire du hasard puisque tout ce qui se passe est pensé comme absolument nécessaire et incontournable.

Ainsi, ce « régime » particulier de hasard exprime une dépossession ontologique majeure vis-à-vis des forces qui sont censées peser sur la trajectoire de l’homme. Si « nous ne sommes pour rien dans ce qui est », c’est que la nature, dans sa complexité et son étrangeté primordiales est perçue comme impénétrable et menaçante. C’est pourquoi il faut à tout prix la faire parler, lui faire dire quelque chose. Ainsi, tout sera justifié et l’insignifiance du réel vaincue. Voilà qui caractérise assez bien ce que Spinoza nomme « premier genre de connaissance », une connaissance mutilée, animée par les passions tristes et enracinée dans un originaire bavard (la nature parle, reprend ses droits, se venge etc.) ; originaire dont le principe est superstitieux et « l’éthique » tristement fataliste (on n’y peut rien !).

2) Le hasard-casus : 

Le hasard comme rencontre : du latin casus, la chute. Le hasard est ici ce qui tombe (cadere en latin) de façon imprévisible telle la tuile qui heurte dans sa chute un passant déambulant tranquillement sur le trottoir. Le hasard n'est plus ici intentionnel ou orienté selon une finalité déjà écrite mais l'observation externe donc objective d'une rencontre imprévisible entre deux trajectoires qui n'étaient en rien destinées à se heurter. C'est le mathématicien Cournot qui nous a donné la meilleure définition du hasard-casus. « Le hasard est la rencontre de deux séries causales indépendantes l'une de l'autre ». Entendons par là que ce qui est hasardeux n'est pas le mouvement ou la trajectoire du passant ou de la tuile mais uniquement l'intersection de ces trajectoires. Il n'y a pas de solidarité entre la tuile et le passant. Celle-ci serait tombée que le marcheur se trouve là ou pas. En ce sens, le hasard-casus désigne bien la seule et unique croisée d'éléments qui sont par ailleurs déterminés et par conséquent inscrits dans une causalité supposée que la raison peut  analyser et tenter de reconstruire. Il est, par exemple, parfaitement possible de déterminer le moment du passage de notre homme sous le point critique compte tenu de sa vitesse de déplacement, de son trajet et de la distance qui le sépare initialement du point d'impact. On a donc affaire ici à un hasard événementiel que la science, par ses modèles physico-mathématiques tente de réduire sous la forme, par exemple, du calcul des probabilités. Hasard rationalisable sitôt que l'on est en possession des données permettant d'envisager un ou des scénarii possibles. La tendance est forte de supprimer le hasard, de le liquider sur l’autel de la raison comme ont cherché à le faire les philosophes des Lumières à la manière de Voltaire qui ne voit dans le hasard que « la cause ignorée d’un effet connu ». Ainsi, le hasard serait le résultat de notre ignorance, de notre incapacité à résoudre l’énigme nécessairement rationnelle de l’univers car « Dieu, comme on le sait depuis Einstein, ne joue pas aux dés. ».

La raison contre le hasard, tel est le défi de la science ; lutter contre les effets dévastateurs de phénomènes qui, de manière isolée sont insignifiants, mais qui, se combinant à d'autres, produisent des catastrophes considérables tels des glissements de terrain ou des raz-de-marée. On notera que le désordre produit par le hasard apparaît dans cette perspective, accidentel (événementiel). Par conséquent, selon cette conception du hasard-casus, l'ordre de la nature et de l'univers prévaut sur le désordre. On pourrait dire avec Bergson que le désordre n'est ici qu'un cas particulier de l'ordre. Désordre que la raison peut affronter par les outils scientifiques. Désordre mineur qui laisserait aisément croire que l'homme aidé de son intelligence calculatrice est en mesure de soumettre les phénomènes et leur turbulence à sa volonté de puissance et de maîtrise. Hasard-casus est de fait, un hasard sécurisant car il mobilise les forces de l’esprit dans une activité – la science – qui parvient à modéliser l’irruption, à la prévoir relativement et à accroître les chances d’adaptation de l’humain. Comme « connaissance du second genre » (Spinoza), la science inscrit le hasard dans la nécessité de la nature rompant par là avec toute interprétation finaliste. Comme le souligne Bergson, la science n’est pas dupe : « Le hasard est le mécanisme se comportant comme s'il avait une intention. » (Les deux sources de la morale et de la religion)

Pourtant, tout rationnel qu'il paraisse, hasard-casus ne témoigne-t-il pas d’un désir archaïque de sécurité et de sécurisation des trajectoires humaines ? « Instinct de protection » dirait Nietzsche. Quelles sont donc ces passions à l’œuvre dans l’entreprise de la science ? Quels désirs secrets agitent l’esprit rationnel ? De quelle foi et de quelle idole procède cette confiance, cet amour en l’ordre et en la causalité ? et pour quelle fins ? La Raison ne serait-elle pas la figure inversée d’une théologie qui ne dit pas son nom ?

Si le hasard-casus, hasard événementiel fait passer de l'esprit théologique ou enfantin à l'esprit positif ou scientifique, il n'en supprime pas pour autant la part d'ombre ou l'ombre d'un doute.

A suivre

DK

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