Héraclite, poète et penseur : 3 (fin)
HARMONIE etr JUSTICE
L'harmonie est un concept apollinien : harmonie de l'arc et de la lyre. L'arc : tension et relation des forces contraires, principe de guerre, Polemos. La lyre : tension et relation des cordes, dissonnance et consonnance. Jeu des Muses, poésie, beauté.
L'harmonie est physique. Elle règle le jeu cosmique autant qu'elle en résulte.
Harmonie des échanges entre les éléments, des processus qui se transforment les uns dans les autres sans se supprimer. Le clair devient l'obscur, le froid devient le chaud, le sec devient l'humide, le feu devient l'air, la mer, la terre, et inversement, à tous les niveaux, dans toutes les combinaisons : échange généralisé, mais règlé : Justice cosmique, dont Zeus est l'image conventionnelle.
Dikè (Justice) est la loi de Zeus. Zeus, métaphore de la régularité des sphères, des naisssances et des morts, de la grande circulation universelle, - et de la société humaine.
LE FEU
Le Feu est l'élément primordial, celui qui règle le jeu des métamorphoses, à la fois élément physique, comme les autres éléments (l'air, l'eau, la terre) et en même temps régulateur des transformations. Du Feu naissent les choses (ta panta), le feu engendre, fait croître, et dissout, selon le mouvement sphérique :
"Le chemin qui monte, le chemin qui descend, un seul et même chemin".
"La foudre gouverne toutes choses".
La parole poétique d'Héraclite ne distingue pas les plans, comme nous faisons aujourd'hui. Il saisit la complexité dans une intuition unitive qui efface les frontières, pour manifester dans un Dire originaire la vérité (Aletheia) du Tout. Le feu est un élément physique (Pyr), un principe organisateur (Archè), la vérité cosmologique (Logos), l'attribut par excellence de la divinité (Zeus), et l'expression de la Justice éternelle (Dikè). Ici poésie, création d'une langue, révélation de vérité, et science ne font qu'un, dans le foudroiement du poème.
L'extraordinaire résonnance de cette pensée tient d'abord à la clarté de cet Obscur, à la profondeur de l'énigme qu'il veut nous faire entrevoir, à l'extrême proximité du vertige et de l'indicible. Seul, désarmé, mais non sans ressource, il se tient à l'orée du grand secret gardé par les dieux, mais il ne craint pas de braver les dieux, trangressant la réserve obligée, et dans sa parole foudroyante il poursuit l'oeuvre mystérieuse d'Apollon : "Le dieu qui est à Delphes ne cache ni ne révèle : il fait signe".
Et nous, sous le signe, nous nous découvrons en quelque sorte signes nous-mêmes, mais sans savoir de quoi.
GK