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PHILO-ALETHEIA
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29 juillet 2010

Héraclite, poète et penseur (2)

L'UNITE des CONTRAIRES

L' UN DIFFERANT DE SOI : L'Un se divise, se démultiplie, essentiellement sur le mode de la contrariété,  s'opposant à soi-même sous les espèces de deux principes antithétiques, comme dans le fragment  suivant :

"Le dieu est jour-nuit, hiver-été, guerre-paix, satiété-faim ; il change comme le feu, qui, lorsqu'il est mêlé à des épices, est nommé selon le parfum de chacune d'elles".

Il est essentiel de conserver la structure des contraires, exprimée d'un jet dans l'antithèse : "jour-nuit", et non point "jour et nuit, car il n' y a pas vraiment de délai temporel, sauf pour une conscience inattentive, victime des apparences immédiates. Hésiode n'a rien compris, lui qui oppose le jour et la nuit, "car jour et nuit sont une seule et même chose". Comment comprendre cela? Dans le jeu même des contraires s'exprime une unité fondamentale, que la pensée peut saisir. Où commence le jour, où commence la nuit? La nuit est dans le jour et le jour dans la nuit. De la même manière il faut distinguer et réunir guerre et paix, satiété et faim dont le jeu contrasté manifeste une indépassable unité de nature. C'est une pensée du rythme, rythmes naturels, les saisons et les jours, rythmes de la vie universelle, satiété et faim, rythmes de la vie sociale, guerre et paix. C'est à cette intuition du Tout dynamique, mobile, vivant qu'il faut revenir sans cesse, pour y voir l'oeuvre du Logos universel. C'est toujours un seul et même Tout, s'exprimant dans le jeu des contraires, à la fois distincts, associés, complémentaires et indissociables. Héraclite ignore souverainement ce qu'Aristote appellera plus tard le principe d'identité, selon lequel une même réalité ne peut être à la fois, et sous le mêmpe rapport, soi et différent de soi. Mais chez Héraclite ne se manisfeste nullement une pensée faible ou confuse, mais une intuition fulgurante qui s'invente et se donne son propre langage, son Logos, qui est en même temps le Logos universel : "La sagesse consiste en une seule chose : être familier du Logos qui gouverne le Tout selon le Tout".

La contrariété c'est la lutte, le Polemos, "père de toutes choses", tension qui fait la mobilité, comme dans le rapport des forces opposées, dans l'arc, entre le bois et la corde. C'est une tension similaire que l'on peut repérer dans le rapport entre le jour et la nuit, l'été et l'hiver, et dans l'attraction-répulsion du mâle et de la femelle. Mais cette lutte s'épuiserait à jamais si l'un des deux contraires l'emportait définitivement sur l'autre. La faim appelle la satiété, mais aucune satiété ne dure, et la faim revient toujours. Le Tout est de la sorte une gigantesque harmonie conflictuelle, où l'on chercherait en vain des êtres stables, des réalités immuables, des fixités : ce que peut saisir la pensée attentive et éclairée, c'est le jeu incessant de processus oppositionnels et interactifs, de forces contrastées, de tensions dynamiques, de créations ininterrompues, dans le cercle jamais statique de régularités non fixes, assurant à l'ensemble une éternité indestructible, mais évolutive et mobile. Non pas le retour éternel et monotone des mêmes choses identiques et inchangeables, mais une évolution rythmée, en spirale, où changement permanent et régularité des processus constituent la Loi dynamique de ce monde : un KOSMOS.

LA MOBILITE UNIVERSELLE : l'IMAGE DU FLEUVE

"Panta rhei" : toutes choses coulent. Rien ne demeure identique à soi, mais attention : si les choses coulent et s'écoulent, elles ne sortent pas de la grande sphère du Tout. Et le Tout à son tour, il ne faut pas le considérer comme un contenant immobile (un sac!) où couleraient les choses individuelles, car il n' y a pas  de Tout transcendant séparé de ses parties. Tout coule, certes, mais ne disparaît pas, ne s'évapore pas, ne fuit pas dans un vide sidéral, ne devient pas un néant, mais tout en coulant, se transformant sans cesse, n'en continue pas moins de former l'impérissabkle Tout. Ta panta coulent, mais ne cessant de couler, ne cessent de constituer le Tout.

"Ce monde-ci, dans son ordre (kosmos), le même pour tous, aucun des dieux, ni des hommes ne l'a fait, mais il a toujours été, et il est, et il sera, feu toujours vivant, qui s'allume et s'éteint en mesure".

Il est difficile de concevoir avec exactitude la mobilité héraclitéenne, qui n'est pas une dispersion dans le vide, ni un éparpillement ou une perte de substance, ni davantage une avancée vers un quelconque avenir enchanté. Les Grecs ont eu cette intuition, tous les Grecs, que le Kosmos est une réalité permanente, sans début ni fin, et là où ils se séparent et s'affontent, c'est dans l'appréciation des choses sensibles : kosmos harmonique et immobile pour les uns (Parménide) mobile pour les autres (Héraclite). Ce débat traverse toute l'histoire de la philosophie, mais jamais un Grec n'a discuté l'éternité de l'univers, du Tout dans son ensemble. La conception créationniste leur est absolument étrangère, ainsi qu'une "philosophie de l'Histoire" au sens moderne (Kant, Hegel ou Marx).

"Nous entrons et nous n'entrons pas dans les mêmes fleuves ; nous sommes et nous ne sommes pas". Ni permanence, ni identité, ni subjectivité : des processus, rien que des processus. Toujours la grande Physis, impersonnelle, mouvante qui brasse vie et mort dans le mouvement universel. Au fait, y a -t-il une différence entre vie et mort? "Immortels, mortels ; mortels, immortels ; notre vie est leur mort, et notre mort leur vie" .

Relevons dès à présent le caractère tragique de cette pensée. Où sont nos certitudes? Que valent nos opinions, et celles des hommes illustres, comme Homère ou Hésiode, que valent ces "jeux d'enfants" avec quoi nous peuplons nos jours, nous croyant éveillés, quand nous dormons, ignorants du Logos qui inspire toute chose, sacrifiant à des dieux de paille notre peu de raison, lavant le sang  avec le sang, rêvant d'immortalité personnelle, quand nous ne sommes pas même assurés de notre existence, qui vient et va comme le vent? Relisons Montaigne : "branloire pérenne", et cette phrase admirable : "D'où tirons nous ce titre d'être, nous qui ne sommes qu'un éclair dans la nuit éternelle?". (GK)

A SUIVRE

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